LES DÉMARCHES DE REVITALISATION INTÉGRÉE, UNE FACETTE DE PLUS DE L'ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE AU QUÉBEC: L'EXPÉRIENCE DE TROIS-RIVIÈRES - Universitas Forum, Vol. 4, No. 2, 2015
IN PRACTICE
LES DÉMARCHES DE REVITALISATION INTÉGRÉE, UNE FACETTE DE PLUS DE L'ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE AU QUÉBEC: L'EXPÉRIENCE DE TROIS-RIVIÈRES


Jean-François Aubin *

Introduction: Le développement de l'économie sociale

Le développement de l'économie sociale, quoique présent au Québec depuis la fin des années 1800, a pris son envol dans les années 90 suite à la crise de l'emploi qui perdurait. L'économie sociale s'est organisée comme un mouvement et a été en mesure de décliner son identité sous différentes formes et de convaincre l'État de soutenir son développement par des politiques publiques. Il serait un peu injuste cependant de ne pas mentionner le rle joué, au début des années 1900, par le développement du mouvement Desjardins (coopérative de crédit) et des coopératives agricoles. De même, les années 1960, ont vu se développer toutes une série de coopératives d'habitation, de travail, de consommation ainsi qu'un mouvement associatif des plus diversifiés et offrant un ensemble de services à la population. Bref, l'envol des années 90 avait des assises et une histoire.

L'économie sociale s'est également inscrite dans des mouvements de pensée déjà présents. Dans un premier temps, l'idée du développement local avait fait son chemin. Se réapproprier le développement à partir de nos territoires locaux. De ce vaste courant, est née le Développement économique communautaire (DEC) qui tout en reprenant les grands principes du développement local, y ajoute la nécessaire jonction entre le social et l'économique dans nos modèles de développement. Il s'agissait de faire travailler ensemble les deux grands pans de notre société que sont le social et l'économique pour le développement d'un territoire ciblé.

Depuis les années 80, le DEC a .été marqué par différents événements. Le début des années 90 a vu le réseau des Corporations de Développement Économique Communautaire (CDEC) se compléter. L'arrivée d'ÉCOF, la CDEC de Trois-Rivières, en 1996 a marqué un temps d'arrêt au développement de nouvelles CDEC au Québec.

Mais l'événement qui a probablement le plus marqué le DEC au cours des dernières années est le développement de l'économie sociale. Sous l'impulsion de Nancy Neamtan qui avait été auparavant directrice de la CDEC de Pointe St Charles (Montréal), le Chantier d'économie sociale a su prendre sa place lors du Sommet sur l'emploi organisé par le gouvernement du Québec en 1996 (Neamtan, 1996). Ce Chantier, qui a agit comme un regroupement des forces vives intéressées à développer l'économie sociale, a rassemblé plusieurs grands réseaux et les régions du Québec dans le développement de l'économie sociale dans plusieurs secteurs d'activités de la société. Finalement, nous avons vu surgir au cours des 10 dernières années, des nouveaux projets de revitalisation dit intégrés où les dimensions économiques, sociales, culturelles et environnementales sont davantage associées dans les interventions locales. Ils se reconnaissent d'économie sociale et utilisent amplement l'entreprise d'économie sociale comme outil de développement. C'est dans cette perspective que c'est développé l'expérience de Trois-Rivières.

L'expérience de Trois-Rivières

Trois-Rivières est une petite ville (la 9e en importance au Québec) de 126 000 résidents située à mi-chemin entre Montréal et Québec au coeur du Québec. C'est la deuxième plus ancienne ville d'Amérique du Nord (1634) et une des premières villes industrielles avec le développement des Forges du St-Maurice en 1738.

Située à la rencontre du Fleuve St-Laurent et de la rivière St-Maurice, et se situant dans une région (Le Mauricie) reconnue notamment pour ses forêts, Trois-Rivières a connu après la deuxième guerre un développement important des grandes industries principalement dans le textile, l'aluminium et les ptes et papiers.

Comme plusieurs villes, nous avons connu à partir de la fin des années 70, fermeture, rationalisation, pertes d'emplois, si bien que les anciens quartiers ouvriers sont devenus peu à peu des quartiers de personnes vivant de la sécurité sociale, dans la pauvreté. Ces quartiers, qui sont les quartiers les plus anciens de la ville, se sont graduellement dévitalisés. Une bonne partie des forces vives de ces quartiers ont déménagé vers les nouveaux secteurs de la ville. L'infrastructure (rues, trottoirs, parcs, etc.) n'a pas toujours suivi le rythme de développement des autres secteurs de la ville. Le nombre d'immeubles laissés entièrement ou en partie vacants ainsi que les terrains vacants ont été en augmentant, ce qui a, entre autres, une incidence sur la criminalité. Plusieurs logements ont été peu entretenus par des propriétaires qui habitent à l'extérieur de la ville.

Malgré l'intervention de plusieurs ressources tant institutionnelles que communautaires (associatives), les statistiques démontrent des taux d'inoccupation, de mauvaise santé, de pauvreté, d'analphabétisme, etc. toujours anormalement élevés en comparaison avec les autres secteurs de la ville. Ce phénomène n'est pas exclusif à notre ville mais se retrouve actuellement dans plusieurs villes au passé industriel.

La Démarche des premiers quartiers de Trois-Rivières a vu le jour en 2001 suite à une enquête participative, porte à porte, réalisée par ÉCOF, la corporation de développement économique communautaire (CDEC) en collaboration avec COMSEP, un organisme communautaire et un organisateur communautaire du Centre Local de Santé Communautaire (C LSC) Les Forges. Ces organisations ressentaient le besoin de redynamiser le lien avec le territoire dans une perspective d'économie sociale et avec une approche intégrée.

Neuf ans plus tard, c'est plus d'une centaine de citoyens et de citoyennes impliqués et plus de soixante organisations qui participent à ce projet de revitalisation intégrée de 11 quartiers dévitalisés. Un heureux mélange de projets à caractère marchand et non marchand se sont développés au cours de ces années. Pensons par exemple au Bucafin, un café/lavoir/Internet qui est devenu le lieu de rencontre du quartier et qui procure de l'emploi à 5 personnes. Ouvert 7 jours sur 7, du matin en soirée, le Bucafin est également le lieu où exposent les artistes du secteur.

L'Auberge de jeunesse des premiers quartiers est un autre bel exemple d'entreprise d'économie sociale qui à la fois assure un service essentiel d'hébergement à faible cot tout en créant quelques emplois. Le Communo-gym tant qu'à lui offre, grce aux 3 kinésiologues qui y travaillent, un accès à faible cot aux populations locales à un centre d'entranement physique. Il s'agit d'un accompagnement personnalisé et de qualité. De son cté, L'Agence immobilière sociale (AIS) assure un logement à meilleur cot et un accompagnement pour ses locataires en prenant à contrat la gestion de logements privés. Cela a déjà créé un emploi et d'autres sont à venir.

Actuellement, deux projets avec plus d'ampleur sont en voie de réalisation. Dans un des cas, il s'agit de la mise en place d'un éco-htel qui sera également un espace éducatif. Ce projet de 9,6 millions (dollars canadiens) va permettre la création d'une trentaine d'emplois directs et va réinvestir dans le milieu plusieurs milliers de dollars pour soutenir la revitalisation. Dans l'autre cas, une église fermée sera reconvertie en plate-forme multiculturelle. Une dizaine d'emplois seront ainsi créés tout en préservant le patrimoine d'un quartier.

Parfois les projets se transforment de non marchand à marchand. Il en a été ainsi d'un projet de prêt gratuit de vélos de quartier, une flotte de 200 vélos, qui deviendra une petite entreprise qui offrira différents services à la population dans le domaine du vélo et sera en même temps un plateau de travail pour permettre à des personnes de reprendre pieds dans le monde du travail.

Ce travail de revitalisation prend également la forme d'outils structurants mis en place pour répondre aux besoins du milieu. À titre d'exemple, un programme mis en place pour soutenir l'accès à la propriété pour les ménages à faible revenu grce à un partenariat de quelques organismes du milieu (la Société immobilière communautaire) ou encore la mise en place d'un fonds de micro crédit communautaire (le Fonds d'emprunt communautaire de la Mauricie).

Plusieurs projets non marchands viennent compléter le tout. Pensons aux jardins communautaires qui regroupent près de 150 ménages, à la mise en place de deux Maisons de quartier dans des secteurs plus isolés, à la création d'un nouveau parc, à la réalisation d'une Fête de l'entraide, la formation et l'emploi qui regroupe depuis 8 ans plus de 3000 personnes en une seule journée, à l'Accorderie (échange de services) qui rejoint près de 300 membres, à un projet pour valoriser le recyclage et la récupération, à une visite guidée qui met en valeurs les quartiers ciblés et bien d'autres réalisations intéressantes. Il reste encore bien du chemin à accomplir pour revitaliser ce territoire fortement touché par la pauvreté mais des pas de géants ont été accomplis et l'espoir est de nouveau présent.

Le rle de partenaires clé dans ce développement

Cette réussite a été rendu possible par la participation de plusieurs partenaires du milieu et par l'implication de citoyens qui ont décidé de mettre la main à la pte.

Illustrons un peu cette réalité. COMSEP, l'organisme associatif le plus connu de Trois-Rivières, a joué un rle majeur dans le développement de la Démarche des premiers quartiers. Ils ont dans un premier temps ouvert le chemin en étant parmi les premières associations à consacrer des énergies au développement d'entreprises d'économie sociale. Encore aujourd'hui Comsep, gère deux entreprises soit une de service traiteur et une d'ensachage de produits équitables.

C'est aussi par la coordonnatrice de Comsep, Sylvie Tardif, que le lien avec les pouvoirs publics locaux s'est renforci. Le travail de revitalisation du territoire l'a conduit à se faire élire au conseil de ville afin de mieux y faire valoir la réalité de ces quartiers.

D'une tout autre façon, on pourrait en dire autant de certains partenaires institutionnels tel le centre de santé et service Sociaux, Emploi-Québec et Service Canada pour ne nommer qu'eux. Ils ont permis financièrement au projet d'exister et ont par la suite soutenue les projets en développement dans les quartiers.

Des citoyens impliqués
Plusieurs projets n'auraient pas vu le jour sans l'implication de citoyens et de citoyennes. Ils sont les premiers à identifier le besoin et à participer à l'élaboration des solutions. Parfois un peu moins présent dans la partie technique du projet, ils se retrouvent sur les conseils d'administration ou sur des comités de travail. Un Communo-gym aurait difficilement vu le jour sans un Claude Fortin, retraité fortement impliqué, comme président de l'organisme. L'Accorderie n'aurait peut-être pas existée sans l'implication d'une femme comme Julie V. qui a porté le projet à ses débuts.

Un organisme porteur
ÉCOF, la corporation de développement économique communautaire (CDEC) de Trois-Rivières a été le porteur de ce projet. ECOF a permis à ce projet, dans un premier temps, de natre en proposant la réalisation de l'enquête participative. ÉCOF a par la suite, appuyé techniquement et humainement les projets issus de cette coalition. ÉCOF a su mobiliser ses ressources au service de ce projet et faire le lien entre ses différents services (aide à l'emploi, service aux entreprises, etc) avec les projets permettant la revitalisation des quartiers. La CDEC a également poursuivi son travail en développant le développement d'entreprise d'économie sociale notamment Multi-boulots qui permet d'insérer au travail des résidents
de HLM en offrant des services de maintenance (gazon, déneigement, etc.).

En route vers un réseau québécois
Le projet de Trois-Rivières n'est pas unique au Québec. D'ailleurs, un réseau québécois de revitalisation intégrée (RQRI) a été mis en place en 2008 afin de faciliter l'échange d'expertise et de sensibiliser les pouvoirs publics.

Que sont au juste les Démarches de revitalisation intégrée?

Ces projets de revitalisation, autres formes que prend l'économie sociale pour le développement d'un territoire, se sont développés progressivement depuis une dizaine d'années au Québec. D'autres expériences semblables sont présentes également dans d'autres pays notamment la France et la Belgique. Ces projets visent l'amélioration de la qualité de vie des citoyens et citoyennes qui résident dans des quartiers marqués par la pauvreté et l'exclusion. Tel que démontré par certains auteurs (Oberti, in Paugam, 1996) la pauvreté et l'exclusion prennent souvent un visage spatial. En effet, par différents mécanismes, nous observons des concentrations spatiales de personnes en situation de pauvreté. À titre d'illustration, ne prenons que l'exemple du logement. Dans un territoire donné pour des raisons souvent historiques, les logements sont souvent en moins bon état et moins bien évalués sur le marché de la location. Ils sont donc moins chers. Ces logements moins chers vont inciter les personnes en situation de pauvreté de d'autres secteurs de la ville à venir s'y établir.

Les démarches de revitalisation intégrée comme celle de Trois-Rivières travaillent à partir d'une vision globale et interviennent à partir de plan d'action, autant sur la sphère social qu'économique, culturelle et environnementale. À ce titre, elle se démarque de d'autres projets où l'accent est davantage marqué sur l'amélioration du cadre bti. Cela pose un défi supplémentaire par rapport aux bailleurs de fonds lié à la mesure de résultats concrets. Une façade de commerce rénové c'est tangible et visible. Contribuer à augmenter la confiance en soi et l'empowerment chez les gens c'est beaucoup moins visible, du moins à court terme. C'est également un défi, parce qu'au-delà du discours, les pratiques d'intervention et de développement intégré demeurent pour l'essentiel en vase clos et de manière contradictoire en silo. Le développement économique fait peu de cas du développement social et vice et versa. De penser les actions et les projets de développement en terme à la fois économique, social, culturel et environnemental est un défi intéressant et loin d'être toujours facile! Tout le monde est pour la vertu mais

Les démarches de revitalisation intégrée sont des projets de partenariats. On y retrouve à la fois des organismes communautaires, des associations, des institutions publiques et des représentants des pouvoirs publics notamment municipal. Cette réalité à l'avantage de la mise en commun de ressources significatives ainsi que d'expertises variées. Cela oblige les différents acteurs à élargir leur analyse et leur vision de la réalité en prenant en compte le point de vue des autres acteurs impliqués. Par ailleurs, cela entrane plusieurs débats. Comment faire cohabiter les représentants d'institutions avec ceux des organismes communautaires ou avec le citoyen impliqué? Comment permettre la prise de décision alors qu'une institution est parfois subordonnée à un pouvoir décisionnel qui est situé ailleurs qu'au palier local? Quel fonctionnement démocratique développé lorsque la coalition regroupe des personnes qui sont présentes à titre individuel (citoyen impliqué) et des organisations qui représentent des centaines de personnes? Certains partenaires sont davantage axés sur le processus, d'autres sur les résultats quantitatifs. Les missions respectives des différents partenaires viennent à l'occasion en conflit avec le projet collectif de la Démarche de revitalisation intégrée. La question du leadership du processus est souvent un enjeu également de négociation, ouverte ou non, entre les acteurs. Bref, un grand laboratoire de pratiques de concertation et de démocratie!


Lancement planification stratégique

Une autre vision du développement

Les démarches de revitalisation intégrée ont une vision différente de celle généralement reconnue dans les modèles de développement dominant. Une vision qui s'appuie sur une conception du développement qui fait une place à une économie plurielle c'est-à-dire un agencement d'économie publique, d'économie privée traditionnelle et d'économie sociale. À ce titre, elle se démarque à la fois de l'idéologie du tout à l'État qui pense que seul l'État est garantie de justice et démocratie tout comme du courant néo-libéralisme qui souhaite diminuer le plus possible le rle de l'État.

C'est une vision du développement qui met en valeur les potentiels du milieu, au lieu de ne voir que les problèmes. Quoique consciente qu'il doit y avoir des ressources qui proviennent de l'extérieur, la valorisation des forces du milieu est un incontournable. Cela brise avec la vieille stratégie de développement des villes qui consistait, et consiste toujours dans bien des cas, à mettre toute l'énergie sur le fait d'attirer les grandes entreprises de l'extérieur à venir s'établir sur leur territoire... jusqu'à ce qu'elle reparte!

Cette vision à long terme repose une certaine notion du bien commun et du vivre ensemble. Il y a là un défi majeur. C'est souvent tout un travail que de développer un espace commun d'entente sur la définition de ce bien commun pour un territoire donné. Plusieurs visions s'affrontent liées aux valeurs et intérêts autant des individus que des organisations.

Approche territoriale

Un des piliers sur lequel repose la démarche de revitalisation intégrée est l'approche territoriale. Cette approche suppose ou prend pour acquis que le territoire où résident les gens renferme une dynamique qui lui est propre et qui influence ce développement La notion d'appartenance à un territoire (quartier, village, ville) a déjà été très forte et présente jusqu'aux années 70. Les années qui suivirent ont été davantage marquées par la montée des différentes identités autres que territoriale. Ce fut l'affirmation des femmes à l'intérieur du mouvement des femmes, des travailleurs à l'intérieur du mouvement ouvrier, des jeunes dans les mouvements de jeunes, ainsi de suite. L'identité à des communautés spécifiques et leur mouvement d'appartenance, (les femmes, les jeunes, les ouvriers, etc.), l'identité à des groupes d'intérêts (les chmeurs, les assistées sociaux, les gais et lesbiennes, etc.). Depuis les années 90, nous assistons à une résurgence de l'identité territoriale. Certes l'identité territoriale est loin d'être la seule dimension qui définit ou rejoint la personne. La multitude des identités possibles (femmes, jeunes, gaies, etc.) se fusionnent et s'accumulent et prennent plus ou moins d'importance selon différents facteurs relatif aux personnes notamment l'ge.

Des auteurs comme Marco Oberti (Oberti, in Paugam, 1996) ont démontré comment le territoire est en soi un facteur possible d'exclusion. Le fait d'habiter tel ou tel quartier identifie les résidents à une image, une perception qui peut avoir une connotation négative. Le territoire est aussi une réalité en terme d'accès aux ressources diverses qui ne sont pas répartis équitablement et il en va de même pour les réseaux sociaux qui n'ont pas la même solidité. Nous pouvons illustrer rapidement ce propos en donnant l'exemple de la personne qui est à la recherche d'un emploi. Dans les quartiers de pauvreté et d'exclusion, ce n'est pas ton réseau de proximité (voisin, famille) qui est en mesure de t'informer d'opportunité d'emplois avant qu'ils ne soient comblés.

Comme plusieurs auteurs (Castel, 1994; De Gaulejac, 1994; Paugman, 1996) l'ont démontré la faiblesse des réseaux sociaux combinée à une situation économique défavorisée contribue grandement à se retrouver en situation d'exclusion ou du moins d'en être fortement à risque.

Nous pourrions également poser la question comme le fait Gérard Divay (Divay, 2004) de la nécessité d'avoir des politiques nationales concordantes avec le travail réalisé au niveau local. Nous pouvons bien inclure une série de projets de lutte contre la pauvreté sur un territoire mais si les politiques du gouvernement ne viennent pas appuyer ce travail, l'impact risque d'être beaucoup moins significatif. On en revient donc au fait que l'approche territoriale ne peut pas être enfermée ou limité au local. Le territoire local doit se situer par rapport aux dimensions plus larges (régional et national) et être capable de prendre en compte ces différents paliers et leur interdépendance.

La notion d'appartenance à un territoire est aussi un enjeu. En effet, la résidence sur un territoire est un fait objectif. Le sentiment d'appartenance lui, est une notion subjective. Il s'agit d'un construit social. Ce n'est donc pas un fait immuable et acquis. À l'inverse, cela peut se développer, en posant certaines actions dans ce sens. Il est possible par exemple en permettant la création de liens sociaux à commencer par des fêtes de quartier, des cafés rencontres et en développant une image positive du quartier à laquelle, les résidents auront le got de s'identifier d'augmenter graduellement ce sentiment d'appartenance.

Le renouvellement des pratiques démocratiques

Les démarches de revitalisation intégrée se veulent porteuses du renouvellement des pratiques démocratiques. Il s'agit d'une part de développer la démocratie participative et d'autre part d'influencer la démocratie représentative. La multiplication des initiatives, espaces de parole et de décisions pour les citoyens et les citoyennes impliqués permet l'émergence d'une citoyenneté active où le fait de devenir acteur dans le développement de notre communauté n'est pas réservé qu'à une élite. Dans ce cadre, ces occasions de vivre la démocratie font également école de démocratie. L'apprentissage d'éléments de base tel savoir écouter les arguments de l'autre, savoir argumenter soi-même, savoir se rallier à une décision majoritaire font partie du processus d'une démocratie en action. Outre les comités de travail sur différents sujets ou les assemblées de quartier, la création de nouvelles ressources communautaires ou d'entreprises d'économie sociale font partie des résultats des démarches de revitalisation. Ces organismes ou entreprises sont des lieux de pratique de la démocratie et d'implication citoyenne. Que ce soit via l'assemblée générale ou le conseil d'administration, de nombreuses occasions de mise en oeuvre
de la démocratie s'y rencontrent.

'est aussi dans cette école de la démocratie que se forme les leaders locaux. Cette démocratie participative provoque des rencontres et des interactions avec la démocratie représentative: les élu-e-s. Ces interactions permettent de mieux comprendre les processus de prise de décision par les instances représentatives (conseil municipal, gouvernements, etc.). Cette connaissance nouvelle, permet une démystification et une appropriation de ces processus de décisions. Cela permet un pouvoir d'influence sur ces décisions donc une augmentation de l'empowerment collectif. Cette question du leadership est souvent sous- estimée. Une démarche de revitalisation intégrée ne peut réussir à atteindre ses objectifs sans le développement d'un nouveau leadership citoyen dans les territoires ciblés. C'est pourtant un défi très difficile qui soulève plusieurs questions. Comment faire en sorte que ce leadership ne soit pas qu'un leadership classe moyenne qui exclut les personnes en situation de pauvreté? Comment éviter que ces nouveaux leaders soit source d'un nouveau pouvoir concentré?

Le travail continu et régulier avec les personnes élues sur différentes dossiers de développement sensibilise plusieurs d'entre elles, à modifier leurs façons de se situer comme élues. Prendre le temps, par exemple, de rencontrer les gens et de vraiment les écouter avant de prendre les décisions. Par ailleurs, parfois cela conduit le milieu local à s'impliquer dans le champ de la démocratie représentative en soutenant un ou une des leurs à une élection.

Un pas de plus pourrait-il être possible? Pour élargir la base des citoyens et des citoyennes qui deviendront des citoyens et des citoyennes impliqués, il y a un défi d'inventer de nouveaux mécanismes de participation démocratique. Cela peut prendre plusieurs formes : L'Internet peut peut-être devenir un des outils de participation démocratique. Peut-on penser des comités d'urbanisme populaire avec des citoyens et des professionnels? Ou encore des consultations populaires dans la rue?

Le travail intersectoriel

Depuis les années 80, le discours de l'importance du travail entre les différents acteurs organisés qu'il soit du monde communautaire, associatif ou institutionnel est à la mode et fait partie du discours dominant. Ce concept d'intersectorialité a été à la fois documenté et critiqué mais aussi beaucoup galvaudé entre autre en la réduisant seulement à des dimensions de concertation ou de partenariat. Un des apprentissages des différentes actions de concertation des années 80 est sans aucun doute l'importance que cette concertation soit liée à l'action et donne des résultats directs. Trop de tables de concertation se sont enlisés dans des discussions sans fin avec peu de résultats concrets. Il reste donc le défi de définir, à partir de chaque milieu, un modèle intéressant et efficace pour les différents partenaires. Il s'agit dans tous les cas de modèles qui demandent une grande souplesse, une confiance entre les partenaires et des individus qui décident d'être de vrai porteur dans leur organisation.

L'inclusion

Une différence importante dans le modèle de développement des démarches de revitalisation intégrée par rapport à d'autres modèles de développement local c'est les pratiques d'inclusion. Ce processus sont basés sur le fait que tous ont une place, un rle, un pouvoir de discuter, de réfléchir et d'agir. Plusieurs projets réalisés dans le cadre des démarches de revitalisation intégrée ont parmi leurs objectifs de permettre l'inclusion de personnes diverses (jeunes, femmes, personnes immigrantes, etc.). À vrai dire, ces démarches sont de véritables pépinières d'innovation dans le domaine de l'inclusion.

Nous parlons ici d'un processus d'inclusion dans le sens d'un empowerment individuel et collectif. Il s'agit d'une augmentation du pouvoir, des capacités autant des individus et des communautés dans une synergie continue. Cela pose cependant de nombreux défis. Comment concilier dans le vivre ensemble les personnes issues de différents milieux et de différentes cultures? Comment concilier des parcours de vie totalement différents en passant de la personne marginale à la personne qui est gestionnaire de programme avec le commerçant du quartier? Toutes ces personnes qui ont des codes de vie différentes, des attitudes et réactions qui peuvent parfois être dérangeantes pour d'autres personnes.

La participation citoyenne

Les Démarches de revitalisation intégrée reposent sur un principe de participation citoyenne. Cela suppose le développement d'une participation la plus grande possible des citoyens aux affaires de la cité et bien entendu de leur quartier. Cela pose également la question du pouvoir et de la participation aux décisions. Encore faut-il définir qu'est-ce que l'on entends par participation citoyenne. Notre réflexion et nos pratiques nous conduisent à diviser en trois types la participation citoyenne. Il y a la participation citoyenne ponctuel ou de base. C'est lorsque le ou la citoyenne va voter, participe à une activité de quartier, participe à une fête ou utilise les services de la Maison de quartier. La deuxième catégorie est celle de l'appartenance. C'est lorsque je deviens membre du Service d'échange locale ou membre des jardins communautaires. La troisième étape est celle de la planification et de la décision. Cette troisième étape où l'on parle d'être membre d'un comité organisateur, d'un comité de quartier, d'un conseil d'administration d'une entreprise d'économie sociale. Ces différents types de participation citoyenne ont tous leur importance mais ne demandent pas les mêmes exigences et s'appuient sur des intérêts différents.

Conclusion: l'économie sociale et solidaire comme modèle de développement local?

Parce qu'elle s'enracine dans les forces du milieu, parce qu'elle est inclusive, parce qu'elle refait cette jonction du social et de l'économique, parce qu'elle est porteuse d'une vision, l'économie ociale et solidaire propose un modèle intéressant de développement local. Il ne s'agit pas d'une recette magique où tout est connu au départ. Chaque milieu, doit développer sa propre dynamique, comme l'a fait Trois-Rivières, pour rendre possible l'impossible. Le premier pas étant de redonner espoir, un espoir souvent enfoui sous des promesses non tenues par une élite locale. Dans ce sens, l'économie sociale et solidaire est porteuse de changement dans notre monde, à nous de s'en inspirer.

Références

Castel R. (1994) 'La dynamique des processus de marginalisation: De la vulnérabilité à la désaffiliation', Cahiers de recherches sociologiques, n. 22, pp. 11-25
De Gaulejac V., I.T. Léonetti (1994) La lutte des places, insertion et désinsertion. Paris: Desclée De Brouwer
Divay G., P.J. Hamel, D. Rose, A-M. Séguin, G. Sénécal et P. Bernard, avec la collaboration de B. Charbonneau, G. Cté et P. Heyean (2004) Projet pilote de revitalisation intégrée, démarche d'évaluation. Montréal: INRS-Urbanisation, Culture et société
Neamtan N. et al. (1996). 'Osons la solidarité! Sommet sur l'économie et l'emploi', Montréal: Chantier de l'économie social
Paugam S. (1996) L'exclusion, l'état des savoirs. Paris: Éditions la découverte


* Jean-François Aubin est actuellement coordonnateur d'un projet de revitalisation dans les quartiers populaires d'une petite ville du Québec, Trois-Rivières. Il travaille également au Chantier d'économie sociale.

Universitas Forum, Vol. 5, No. 2, April 2015





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