Bachir Mokrane - Universitas Forum, Vol. 2, No. 1, September 2010
EN PRATIQUE
LES ESPACES DE PARTICIPATION CITOYENNE ET LA CONDUITE DU DEVELOPPEMENT LOCAL AU MAROC

Bachir Mokrane *

Contexte: la décentralisation et la participation citoyenne au Maroc

La décentralisation: renforcer la démocratie
Dès son Independence, le Maroc na pas tardé à édifier un Etat doté dune administration territoriale structurée, dans une perspective de développement. En effet, le processus effectif de la décentralisation, caractérisé, dailleurs, par des mutations institutionnelles importantes, date de 1976, année de la promulgation de la première Charte Communale par le Dahir du 30 septembre 1976. Dès lors, un vrai débat est lancé pour questionner lefficacité de linstance communale, lefficience de la relationnalité territoriale des acteurs intervenant dans sa sphère et sa productivité institutionnelle, en termes de gouvernance et de démocratie locale.

Rappelons que cette réforme fut une opportunité sans précédent aux communes pour concevoir leurs plans de développement économiques et sociaux, conformément au plan national. Elle fut, également, un cadre référentiel, en termes de décentralisation, pour la mobilisation du potentiel local dans la perspective délaborer des stratégies locales de croissance.

Certes, cette décentralisation est un espace de partage de pouvoir doté de niveaux et de structures progressivement allégés et plus proche de la population. Mais, cette avancée notable et reconnue, na pas été épargnée de critiques, après des décennies dexercice, notamment au niveau de lefficacité, de lefficience et de la participation citoyenne.

Le processus de déconcentration quant à lui, na pas pour autant atténué la tendance centralisatrice de ladministration marocaine, il na pas non plus aidé ni à ladaptation des structures administratives centrales ni à ladoption de méthodes modernes non bureaucratiques pour soccuper des demandes sociales et répondre aux attentes des citoyens (Ziyani, 2002).

Dans le rapport sur les perspectives du Maroc à lhorizon 2025, rendu public en 2005, les experts marocains ont recommandé, après avoir approché les imperfections de la pratique de la décentralisation, la revitalisation de cette expérience, par la capacitation de son potentiel transformateur[1]. Le document souligne que Laccumulation de difficultés incite désormais à reconsidérer les approches utilisées, tandis que lamélioration technique de la gestion locale doit êle;tre soutenue par un réel système décentralisé et participatif, conduit par un leadership politique aux pratiques transparentes et responsables .

Les premières réponses à cette problématique, commencent déjà à prendre forme à lissu des modifications, qualifiées de substantielles, de la charte communale en 2008, notamment en matière de développement communal et ses transversalités, la participation citoyenne en loccurrence. Cet aspect sera, dailleurs, la substance des paragraphes qui suivent.

La participation citoyenne : démocratiser la démocratie
Historiquement, le processus participatif pour le développement au Maroc, sest dans un premier temps pratiqué timidement dans le domaine hydro-agricole dans une forme appelée la participation obligatoire : le caractère obligatoire était fondé en général sur largument de lintérêle;t national du projet et se traduisait par une délimitation des zones, un recensement des bénéficiaires et une définition du programme de travaux par arrêle;té (Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement, 2006).

Dans les années quatre-vingt-dix, et à loccasion de la mise en place de programmes sectoriels de développement[2], apparaîle;t, pour la première fois, la notion de partenariat. Cette nouvelle approche qui impliquait ladministration, les collectivités locales et les bénéficiaires sur la base du partage du cot, visait surtout ladhésion de la population.

Ce mode partenarial sest développé progressivement donnant naissance à des associations en relais de laction des services de lEtat, qui substituaient lEtat dans laccomplissement de quelques missions relevant de ses compétences.

Les approches participatives se succèdent, en réponse à des exigences liées essentiellement à la complexité des nouvelles taches de lEtat et son engagement au niveau international, à lapparition de nouveaux Acteurs Non Etatiques (ANE) et à une demande sociale grandissante. Dans ce contexte, apparaîle;t un mode participatif impliquant la communauté locale dans la conduite de son développement (Community Driven Development). Cest dans ce contexte que les Plans de Développement de Douar (PDD) voient le jour et inaugurent de nouveaux espaces de dialogue et de concertation, renforant, ainsi, les socles dune démocratie participative locale.

Soulignons, en termes de cette présentation schématique de lévolution des formes de participation, que ces expériences ont été à lorigine des modifications législatives et réglementaires de ces dernières années qui ont permis de définir le cadre de la décentralisation et de mettre en place les instruments du partenariat Etat-secteur associatif.

Les plans communaux de développement et lInitiative Nationale pour le Développement Humain : les espaces de participation se décrètent

Deux grands événements ont marqué le renforcement des espaces de participation citoyenne au Maroc : lInitiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) lancée en 2005 et les Plans Communaux du Développement (PCD) consacrés par la charte communale, comme elle a été modifiée en 2008. En parallèle à ces deux initiatives nationales, intervient une coopération au développement, accompagnant un chantier de décentralisation qui ambitionne de démontrer sa redevabilité vis-à-vis de la population.

L'Initiative Nationale pour le Développement Humain : létat reconnait le déficit social, se rattrape et réclame la citoyenneté réelle et agissante
Lancée par le souverain du Maroc en mai 2005, lINDH constitue un référentiel stratégique pour le développement social et la consolidation des acquis en matière de démocratie et de décentralisation. Cette initiative s'appuie sur une démarche déconcentrée qui respecte les principes de la participation de tous les acteurs locaux de développement, la planification territoriale stratégique, le partenariat et la convergence des actions ainsi que la bonne gouvernance.

Cette initiative - qui adopte entre autres la démarche participative - travaille sur quatre grandes thématiques : le programme de précarité, le programme Urbain, le programme de lutte contre la pauvreté dans les zones rurales et le programme transversal. En effet, plusieurs instances de participation et de concertation ont vu le jour suite au lancement de ce grand chantier social : le Comité Régional de Développement Humain (CRDH), le Comité Provincial de Développement Humain (CPDH) et le Comité Local de Développement Humain (CLDH).

Au-delà des réalisations physiques au profit de plus de quatre millions de bénéficiaires (directs et indirects), ladite initiative, de par ses approches et méthodologie, a permis la génération dun dynamisme et une forte mobilisation, notamment au rang des associations (la représentativité de la société civile dans les structures de gouvernance de ce programme la société civile détient le 1/3).

Au niveau de la participation citoyenne, un sondage récent mené par lObservatoire National du Développement Humain (ONDH), révèle que lINDH a favorisé le développement du tissu associatif et a contribué à linstauration de nouvelles vocations citoyennes qui cherchent non pas à offrir des services mais à mobiliser les populations en tant que partenaires des pouvoirs publics dans la conduite du développement. En effet, leur part dans la maîle;trise douvrage des projets atteint 25,8% du montant global des dépenses INDH en milieu rural et 31,7% en milieu urbain [3] .

LINDH est, également, un espace qui libère, en principe, la créativité des collectivités locales, non seulement en matière de conduite des projets de développement, mais aussi en termes de révision de leurs positionnement vis-à-vis des la société civile, en procédant à la dynamisation de ce secteur linstitutionnalisation de sa participation au processus décisionnel.

Des Plans de Développement Economique et Social aux Plans Communaux de Développement : une démarche stratégique participative en construction
La planification communale est une attribution du conseil communal, et avant mêle;me lamendement récent de la charte communale, les communes marocaines élaboraient déjà leur Plan de Développement Economique et Social (période 2000-2004). Toutefois, à la lecture critique de ces documents, il savère que le plan nétait, en fait, quune sommation de projets. De plus, les espaces de participation citoyenne ne figuraient pas dans cet exercice, qui était plutt un simple assemblage dactions (besoins mal identifiés, priorités infondées et projets non évalués).

Visant à doter les communes des outils stratégiques de planification, la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) a conue, récemment, un Guide pour lélaboration du Plan Communal de Développement (PCD) en milieu rural. Un instrument qui trace, selon une démarche stratégique et participative, le processus de planification communale. Cette relance en matière de planification communale, a été précédée par une expérience menée par lUNICEF dans le cadre de lélaboration du Le Plan de Développement Communal en faveur de lEnfant (PDCE)[4].

La cadre institutionnel et juridique en matière de développement économique et social des communes, sest renforcé par les nouveaux dispositifs de la Loi n.78-00 portant charte communale telle quelle a été modifiée et complétée par la loi n.01-03 et la loi n.17-08. Larticle 36 de ladite loi, stipule que le Plan de Développement Communal décrit pour six années, dans une perspective de développement durable et sur la base dune démarche participative prenant en considération notamment lapproche genre, les actions de développement dont la réalisation est prévue sur le territoire de la commune .

Retenons de cette définition que les PCD (qui sont dailleurs dans la phase de diagnostic, puisque le processus vient dêle;tre déclenché), initie une nouvelle culture de planification, mais instaure, également, un mode participative qui devrait, normalement, renforcer une démocratie participative.

Les premières activités inaugurant ce nouveau processus est la création de comités de mise en uvre des PCDs. Ces structures organisationnelles sont :
- le Comité Provincial de Coordination en appui au PCD au niveau des provinces, dont le rle et lappui techniques des communes, la garantie le bon déroulement du processus, la formation continue au profit des acteurs impliqués et lharmonisation des PCD au niveau provincial;
- lEquipe Technique Communale, au niveau des communes, un niveau opérationnel auprès du conseil municipal qui met en uvre le processus;
- le Comité de Parité et dEgalité des Chances consacrés par larticle 14 de la mêle;me charte et qui se compose des acteurs associatif et opérateurs socio-économiques de la commune.

La stratégie de partenariat en appui a lélaboration et la mise en uvre des PCD : lexpertise internationale au service de la planification locale
Les conseils communaux estiment que cette nouvelle mission nest pas une tache facile, pour les raisons relatives à la difficulté lappropriation des nouveaux mécanismes, faute de personnel qualifié. Face à cette situation, les responsables de la Direction Général des Collectivités Locales ont fait appel à la coopération internationale pour accompagner ce processus. Ainsi, lUNICEF, ayant déjà une expérience dans le cadre des Plan Communaux en Faveur de lEnfant, sest chargé dappuyer les communes de moins de 35.000 habitants. Pour les communes de plus de 35.000 habitant la DGCL a fait appel au programme ART GOLD Maroc/PNUD[6], qui exerce au niveau de deux régions pilotes (Tanger Tétouan et lOriental) depuis 2007.

La stratégie du Programme ART GOLD Maroc se base sur une action à trois niveaux complémentaires : au niveau national, le Comité National de Coordination (CNC) est linstance de concertation qui réunit les institutions clés du développement. Il est chargé de lorientation et de la stratégie générale du programme, de sa mise en concordance avec les règles et procédures nationales, de la coordination avec les autres initiatives et programmes similaires et de larticulation entre la dimension locale et les politiques nationales. Au niveau régional, les Groupes de Travail Régionaux (GTR) sont les instances fondamentales de concertation. Ils constituent loutil efficace de lapproche participative au niveau régional. Ils sont les instruments techniques intersectoriels représentant les collectivités locales, les services extérieurs de lEtat, la société civile et luniversité pour accompagner les processus de développement défini pour chaque région.

à souligner que ce nouveau positionnement du programme a été précédé par lélaboration des Lignes Directrices en appui à la stratégie de la Région pour la Coopération Internationale, fruit des ateliers participatifs, rassemblant les différents structures de gouvernance au niveau des régions concernées.

Cette méthode, qui a dailleurs prouvé son efficacité, est une référence mêle;me, pour lappui du processus des PCD. Dans cette perspective, et suite à la demande formulée par la DGCL, le programme a procédé à une offre de service composée des instruments et outils intégrant lexpertise de la coopération internationale décentralisée, à savoir : lexpertise en gestion et planification communale, des outils danalyse du territoire, lidentification des axes de développement, des ateliers de formations, des échanges dexpériences et des bonnes pratiques le Partenariats entre communes et la conception dun Guide méthodologique pour lélaboration dun PCD dans les communes de plus de 35.000 habitants. Les groupes de travail précités, commencent déjà à jouer un rle dintermédiaire, dappui de conseil et de renforcement des capacités auprès des acteurs communaux, chargés de la planification locale et de lélaboration des PCD.

Il est fort important de souligner que lappui technique apporté par ART GOLD Maroc, sest aligné avec le contexte marocain qui, lui, a donné son contenu et a initié un véritable consensus entre les différents acteurs en matière de gestion de la coopération internationale décentralisée.

Lévolution de cette expérience est marquée par un passage de petits projets à caractère social ou socio-économique à des projets régionaux structurants pour couronner son intervention par lappui technique à la planification stratégique locale des communes.

Méthodologiquement, toutes les communes bénéficiaires saccordent sur limportance de la consultation de la coopération internationale décentralisée pour réussir la planification communale, elles reconnaissent aussi, quelles détiennent un territoire qui ne savent pas le lire.


Journées de planification à loccasion du lancement des PCD, organisée par le programme ART GOLD MAROC

Toutefois, il serait objectif de noter que lappui à cette planification communale, récent quelle soit, est confronté à plusieurs difficultés : à savoir la mauvaise perception du rle de la coopération , souvent réduite en un octroi budgétaire ; la non valorisation de lexpertise technique ; la non qualification du personnel communal et les sensibilités politiques qui sous entendent que les PCD sont des instruments concurrents au programmes politiques qui ont conduit les élus aux sièges des conseils communaux. La participation citoyenne quant à elle, est souvent perue comme une concurrente à la démocratie représentative.

Conclusion

Aujourdhui, la gestion du développement local au Maroc relève un défi majeur qui vise la refonte des modes de faire. Le constat de départ, lors de linitiation du processus de la planification communale, il y a dix ans, enseigne que cette planification a peu cerné les priorités locales, les habitants ny sont pas directement associés, leurs besoins sont souvent mal identifiés et les réalisations ne sont pas suivies et évaluées (Royaume Du Maroc, 2009).

La perspective est de planifier en concertation avec des acteurs locaux qui sont appelés à participer à la construction dun intérêle;t général local ; une participation qui traduirait lexistence dune âle;me locale susceptible de construire une véritable collectivité locale basée sur un vivre ensemble et des intérêle;ts mutuels (ibidem).

Lune des communes donne déjà cette âle;me à son processus de planification : nous sommes tous partenaires dans le développement, contribuons à lavenir de notre ville[7] .

Références

Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (2006) Approche participative au Maroc. Bilan de lexpérience et recommandations pour la mise en uvre de linitiative nationale de développement humain (INDH)
Royaume du Maroc (2008) Projet de guide pour lélaboration du Plan Communal de Développement selon lapproche de planification stratégique participative. Ministère de lIntérieur, Direction Générale des Collectivités Locales.
Ziyani B. (2002) Décentralisation et réforme administrative au MAROC. Communication présentée au 4ème Forum méditerranéen du Développement MDF4, Amman (8-10 avril)


* Bachir Mokrane, spécialiste en développement local et coopération multilatérale, est coordinateur technique national du projet dappui à la réalisation des Plans Communaux du Développement des Communes de plus de 35.000 habitants au Maroc, Fondation CIREM, pour le Programme ART GOLD Maroc.

1. Rapport Thématiques Gouvernance et développement participatif: http://www.rdh50.ma/fr/gt10.asp

2. Plusieurs plans, stratégies et programmes concernant leau, électricité, routes rurales etc. ont vu le jour au Maroc, après le sommet de la terre de Rio en 1992.

3. http://www.ondh.ma/

4. Le Plan de Développement Communal en faveur de lEnfant (PDCE) est né dune initiative conjointe du Ministère de lintérieur et de lUNICEF.

5. Il est créé auprès du conseil communal une commission consultative dénommée commission de la parité et de l'égalité des chances, composée de personnalités appartenant à des associations locales et d'acteurs de la société civile, proposés par le président du conseil communal (Article 14 de la charte communale).

6. Le Programme ART GOLD Maroc sinsère dans le cadre des initiatives de coopération internationale promues par les Nations Unies pour aider les pays en développement à mettre en pratique les engagements souscrits lors de la signature des Objectifs du Millénaire pour le Développement et la Déclaration de Paris.

7. Slogan du processus de planification de la commune urbaine de Berkane - région de lOriental, Maroc.

Universitas Forum, Vol. 2, No. 1, September 2010





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