Luciano Carrino - Universitas Forum, Vol. 2, No. 1, September 2010
CONCEPTS CRITIQUES
DEVELOPPEMENT LOCAL, PARTICIPATION ET CHANGEMENT

Luciano Carrino *

Le développement local participatif est de plus en plus présenté comme un moyen pour combattre les effets de fragilisation, d'exclusion et d'appauvrissement dus à l'énorme concentration de pouvoirs et de richesses aux mains de groupes très puissants, susceptibles de conditionner et d'orienter l'économie et la vie de la planète. Mais, pour qu'il serve effectivement au changement, il convient de discuter de certaines ambiguïtés qui pourraient neutraliser son énorme potentiel, en éclaircissant le sens et l'usage des mots: développement, local et participation. Mon souhait, à travers cet article, est de montrer comment le mot " local " est utilisé par des visions politiques différentes, que j'indique comme autoritaires, participatives et critiques, et de suggérer la signification qui mieux sert au changement

La référence au développement et à la participation

Avant d'aborder la question du " local ", il me faut résumer ici ce que j'entends par développement et participation.

Le mot " développement " indique, pour moi, le " processus par lequel les sociétés humaines essayent de répondre aux besoins de survie, bien-être et sécurité des personnes ". Cette définition attire l'attention sur la façon dont telle ou telle autre société met en pratique son mandat fondamental, donc sur les choix éthiques et politiques qui la sous-tendent. En refusant ses résonances idéologiques[1], je pense qu'il faut utiliser ce mot dans sa signification générique d'expression de potentialités, déploiement de fonctions. Si on reconnaît que toute société d'êtres vivants doit permettre aux individus qui en font partie de mieux survivre et satisfaire leurs besoins, alors il faut se pencher sur la façon dont les sociétés humaines ont fait cela jusqu'à présent et sur la manière d'améliorer leur fonctionnement en ce sens.

On constate aisément que cette fonction a été exercée, dès le début, à travers une organisation sociale pyramidale, basée sur la concentration des pouvoirs et des ressources aux mains des personnes et des groupes les plus forts ainsi que sur la marginalisation, l'exclusion et la répression des autres. Toutes les sociétés, quelles que soient leurs caractéristiques culturelles, ont été autoritaires pendant plusieurs millénaires. Leur développement a engendré les bienfaits que nous connaissons, au prix cependant d'énormes violences et souffrances.

Depuis deux cents ans seulement, on assiste à la diffusion des mouvements des groupes exploités et marginalisés qui remettent en question les stratifications, les injustices et les conséquences destructrices des modèles autoritaires. Les questions du développement, qui ont été présentées par les visions autoritaires comme des problèmes techniques liés à la croissance économique au sein du modèle capitaliste, le seul reconnu, ont commencé à apparaître sous leur vrai jour : des problèmes politiques de réforme radicale de l'organisation des sociétés.

Les groupes les plus forts se révèlent partout incapables de maintenir la promesse qui justifie leur position dominante, à savoir être les seuls capables de garantir la survie, le bien-être et la protection des personnes. Il se pose alors, de plus en plus, le problème de comment permettre à tous les individus d'être actifs dans les processus de développement, pour corriger les conséquences négatives (comme la pauvreté, la violence et la destruction et contamination des ressources naturelles) des modèles autoritaires[2], notamment celui capitaliste-consumériste actuel[3].

Il s'agit par conséquent de chercher des alternatives aux formes de développement autoritaire. C'est dans ce cadre que le " local " prend toute son importance.

En ce qui concerne la participation, il est certes très important d'y faire référence, mais non sans en préciser les formes et le sens, car on confond souvent la participation avec le consensus obtenu par la propagande, le prosélytisme, les pressions, les élections, la manipulation et d'autres moyens. Dans le développement, on confond la participation également avec d'autres types de processus pilotés par des organisations publiques ou privées, y compris les ONG, o les gens sont impliqués sans disposer toutefois des informations nécessaires ni des espaces de programmation et de décision qui leur permettraient d'avoir un poids réel. La participation effective est, au contraire, un processus critique des formes courantes de programmation et de gestion du développement. Elle n'est fonctionnelle au changement que si elle se base sur une large disponibilité d'informations et sur la création d'espaces de concertation et de dialogue entre institutions et acteurs sociaux pour les questions liées aux besoins et aux intérêts communs. Elle n'est effective que si les participants peuvent influencer la programmation et l'utilisation des ressources disponibles et dès lors, contribuer à contrler et à corriger les processus mis en marche.

En conclusion, la participation, sur laquelle Marguerite Mendell développe des réflexions approfondies dans ce même numéro de la revue, est un instrument pour mieux chercher et mettre en pratique des solutions nouvelles aux problèmes du développement et, dans ce sens, est un élément essentiel du développement local.

La référence au local

La référence au " local " peut être un instrument extraordinaire de promotion du changement, à condition toutefois de clarifier les ambiguïtés qui l'accompagnent. à cette fin, le schéma qui suit indique les différentes significations, connotations et usages du mot " local ", suivant les conceptions les plus répandues. Les conceptions abordées ici sont de trois types[4].

La première, que j'indique comme autoritaire, correspond à la mentalité et à l'idéologie de ceux qui estiment qu'un bon développement ne peut être assuré qu'à travers des sociétés dont l'organisation pyramidale, plus ou moins démocratique, est guidée par les individus et les groupes les plus forts, les plus entreprenants et les plus astucieux. Cette conception considère la pauvreté, la violence, les guerres et la dégradation de l'environnement, comme un mal inévitable, un prix à payer en vue de la meilleure vie possible. Elle privilégie la compétition agressive entre les individus et les groupes, qui serait à l'origine du développement. Elle exalte l'initiative privée, productrice de croissance économique, et pense que l'état doit limiter au minimum son interférence en matière d'économie.

La deuxième, que j'indique comme participative, correspond à la mentalité et à l'idéologie de ceux qui voudraient limiter les conséquences négatives de l'organisation pyramidale des sociétés et essayent de le faire en valorisant la participation active des acteurs sociaux aux processus de développement et les solidarités.

La troisième, que j'indique comme critique, correspond à la mentalité de ceux qui jugent les visions précédentes, respectivement, nuisibles ou peu efficaces et sont convaincus qu'il faut changer en profondeur l'organisation des sociétés humaines pour les orienter vers un développement susceptible de mener à l'éradication de la pauvreté, de la faim et des guerres et aux autres objectifs fixés par la communauté internationale dans sa plateforme idéale[5] pour le futur qui, toutefois, reste loin d'être mise en pratique.

En attendant que le débat politique dégage un type d'organisation sociale alternatif au modèle capitaliste-consumériste actuel, la conception critique prend au sérieux l'utopie esquissée par la plateforme du millénaire et étudie la façon dont on pourrait élaborer un nouveau type de développement cohérent avec ses objectifs et valeurs.

Examinons d'abord ce tableau[6] qui compare les trois conceptions du " local ".


En résumé, par rapport aux conceptions autoritaires, les conceptions participatives privilégient des mécanismes plus démocratiques, mais souvent elles ne se préoccupent pas de remettre en question les principaux instruments de programmation et de gestion du développement qui ont permis de maintenir les dynamiques d'exclusion dans les sociétés et le contrle des groupes forts sur la population.

Parmi ces instruments, le centralisme, c'est-à-dire la concentration excessive de pouvoirs et de ressources par les autorités centrales (de l'état ou des entreprises privées, des associations etc.), a toujours eu une grande importance. En se justifiant à travers le besoin de coordonner des processus complexes, cet extraordinaire instrument de contrle et d'exclusion prive les structures les plus proches des citoyens des moyens (informations, espaces de programmation et d'action) qui leur permettraient d'agir pour résoudre leurs problèmes. La concentration excessive de pouvoirs et de ressources au centre déresponsabilise les acteurs sociaux et les institutions locales tout en maintenant leur dépendance des groupes restreints centraux.

Le centralisme va de pair avec un autre instrument très efficace, le verticalisme, c'est-à-dire la transmission des décisions du haut vers le bas, sans que les acteurs du bas puissent, à leur tour, influencer les acteurs du sommet. à travers ce mécanisme, les gens et les institutions du territoire forment dès lors la base qui doit être guidée par l'autorité du sommet. Le sommet maintient ainsi un contrle absolu sur la base et ne manifeste aucun intérêt à en recevoir les suggestions.

Un troisième instrument très puissant, le paternalisme, canalise les sentiments de solidarité des gens vers des formes de pensée et d'action qui ne remettent pas en cause les facteurs d'exclusion présents dans les sociétés et leurs stratifications, préconisent l'action volontaire individuelle et adoptent des approches o le rle actif des " bénéficiaires " a peu d'importance.

La référence au local est d'autant plus efficace qu'elle sert à combattre le centralisme, le verticalisme et le paternalisme. C'est pourquoi il est important éclaircir certaines ambiguïtés liées à l'utilisation du mot local lorsqu'il est associé aux expressions " communautaire " ou " société civile ".

Ces expressions sont parfois utilisées par des auteurs qui ont certainement une vision critique, mais qui préfèrent faire référence à la " communauté " ou à la " société civile, plutt qu'à la " décentralisation démocratique ". Leur préoccupation est, avec raison, que les processus de décentralisation ou déconcentration de l'état cachent la volonté politique d'affaiblir et fragmenter les pouvoirs publics et de promouvoir la privatisation dans tous les domaines. Ce qui ne peut que renforcer le pouvoir des grands groupes privés de l'industrie et de la finance.

Cependant, je pense que, pour éviter les risques indéniables liés à la décentralisation, on peut finir par en éclipser les grands avantages. Il ne faut pas oublier, en effet, que l'alternative à la décentralisation reste le centralisme, dans toutes ses versions : autoritaires, éclairées ou démocratiques[7] qui ont déjà largement prouvé leur valeur. Donc le problème n'est pas la décentralisation, si elle vise à renforcer les institutions publiques et la participation des citoyens, mais la manipulation qui voudrait en faire une arme de plus pour affaiblir le secteur public plus proche des gens, confirmer l'importance des structures centrales de l'état et renforcer les pouvoirs des groupes privés.

Les cultures autoritaires et centralistes se basent sur la distance entre les groupes au pouvoir et la population. Les gouvernements qu'elles mettent en place doivent maintenir cette distance et, si possible, l'augmenter, de façon à ce que le pouvoir central devienne mythique et inaccessible. Celui-ci peut faire des concessions marginales à un petit nombre de leaders centraux des associations qui représentent la " société civile ", car cela permet de maintenir les distances et de reconfirmer le mécanisme représentatif, basé sur la délégation de pouvoir, que les groupes centralistes dominent. Ces groupes évitent soigneusement de fragmenter le pouvoir et de le transférer en parties significatives à des institutions décentralisées, qui sont plus proches des citoyens et qui ne peuvent pas facilement échapper à leurs pressions.

Si les acteurs sociaux savent que les institutions locales ont des pouvoirs et des ressources, ils peuvent plus facilement se mobiliser et s'allier lors des discussions qui touchent leurs intérêts communs, comme le mauvais fonctionnement des services, la qualité insuffisante de l'environnement, le chmage, les spéculations immobilières etc. Ainsi, les problèmes générés par la prééminence des intérêts des groupes puissants sur les intérêts généraux peuvent être traités plus directement par ceux qui en supportent les conséquences, représentés par des leaders dont ils peuvent mieux contrler les négociations. De cette façon, l'autoritarisme peut être mieux combattu si on combat en même temps le centralisme à travers la décentralisation politico-administrative.

D'autres inconvénients apparaissent toutefois lorsque le local est assimilé au " communautaire " ou à la " société civile ". Ces mots, non seulement laissent dans le vague à qui ils se réfèrent[8], mais sont souvent associés à un prétendu clivage naturel entre le secteur public et les citoyens. Ce clivage, indéniable, n'a toutefois rien de naturel, car c'est précisément la culture autoritaire qui a réussi à mettre au service des groupes les plus forts le secteur public, en le rendant effectivement hostile aux citoyens. Mais cela ne doit pas induire en erreur les acteurs du changement qui, en prenant leurs distances du secteur public, l'abandonneraient aux mains des groupes forts, qui s'en servent pour promouvoir leurs intérêts privés. C'est au contraire en le rendant effectivement " public ", qu'il deviendrait capable d'agir dans l'intérêt de tous. C'est d'ailleurs ce que cherchent à faire beaucoup de mouvements critiques, tels ceux qui ont agi en matière de santé, d'éducation et dans d'autres secteurs, qui ont contribué à apporter un peu plus de démocratie et de respect des droits de l'homme dans les hpitaux, les écoles et dans bien d'autres structures publiques, alors que la mentalité autoritaire aurait préféré les abandonner et investir dans le secteur privé.

La référence au local est un instrument de changement si elle cherche à promouvoir le rle de sujets politiques du développement autres que ceux qui l'ont guidé jusqu'ici.

Les cultures autoritaires prnent un individu fort et estiment que la survie, le bien-être et la sécurité de tous ne peuvent naître que d'une compétition agressive d'o émergeraient, comme dans la sélection naturelle, les plus aptes à diriger les autres.

Les approches participatives n'aiment pas la compétition prédatrice, mais elles aussi mettent au premier plan les capacités créatives de l'individu. Elles ne spécifient pas, toutefois, de quel type d'individu elles parlent et préfèrent insister sur le fait que ses capacités devraient pouvoir s'exprimer dans un contexte qui garantit les libertés démocratiques, les droits de la personne et la participation.

Un point mérite ici d'être éclairci. Si le développement sert à satisfaire les besoins, force est de constater que pas un seul d'entre eux, ou presque, ne peut être satisfait par l'individu seul. La satisfaction de ses besoins dépend, au contraire, de l'accès aux biens et aux services que seules des sociétés complexes peuvent lui offrir, à travers le travail organisé de milliers de personnes.

En d'autres termes, le développement ne concerne ni l'individu tout seul, ni la société, entendue comme une entité autonome qui serait indépendante et au-dessus des citoyens, comme le prétendent les cultures autoritaires. Le sujet moteur du développement est, oui, l'individu, mais avec son interdépendance par rapport à l'environnement et à l'organisation sociale Cette interdépendance influence l'identité personnelle des humains et se deux principaux aspects : le cté égoïste, agressif et prédateur et le cté solidaire, social et en harmonie avec la nature. Jusqu'à présent, le sujet politique qui a mené le développement a été l'individu ayant une identité personnelle fortement déséquilibrée vers sa dimension égoïste et violente. Le sujet du changement ne peut être que l'individu qui reconnaît la valeur de la vie en société et fait prévaloir la dimension solidaire, sociale et équilibrée de son identité personnelle.

La société qui voudrait se développer sans se détruire ou se mettre en danger ne peut plus être conçue comme un ensemble d'individus qui laissent libre cours à leurs " capacités créatives ", plus ou moins agressives. Elle doit évoluer vers des formes d'organisation o les acteurs sont conscients qu'ils dépendent les uns des autres et, tous ensemble, de l'environnement. Sur cette base, les acteurs sociaux devraient se proposer de construire des sujets collectifs solidaires, c'est-à-dire des nouvelles formes de gouvernement des processus de développement pour garantir la survie, la satisfaction et la sécurité de tous.

En d'autres mots, toute action visant à améliorer la qualité du développement doit agir simultanément sur l'identité des personnes et l'organisation de la société.

En ce qui concerne les personnes, elle devrait renforcer l'indestructible dimension sociale et solidaire de l'identité personnelle, généralement réprimée, affaiblie ou détournée vers le paternalisme sous l'influence des idées et valeurs individualistes et agressives prédominantes dans les cultures autoritaires. Elle devrait également renforcer le sentiment d'appartenance des individus non seulement à leur famille, leur clan ou leur groupe, mais aussi à la société, à ses institutions et ses structures, reconnaissant que leurs appartenances spécifiques ne sont que des articulations de leur appartenance fondamentale à l'espèce humaine.

En ce qui concerne la société, l'action pour le changement devrait rendre les formes de gouvernement plus proches des gens et plus capables de tenir compte des besoins de tous et des différences entre les individus.

C'est là que le local devient instrument de changement et que la décentralisation démocratique politico-administrative marque la différence, car il ne s'agit pas d'un local indéfini, mais du territoire bien défini, o vit et travaille une population qui peut devenir un sujet politique collectif du développement. Et qui le devient si elle est représentée, dans son ensemble, par ses institutions et son gouvernement, dans les négociations avec les structures centrales de l'état et les instances et pouvoirs transnationaux.

L'allusion au local inclut, dans ce cas, la critique au centralisme et à l'autoritarisme et fait partie de la stratégie qui peut aider les acteurs sociaux à faire prévaloir la dimension sociale et solidaire de leur identité (et pas seulement les solidarités fragmentées des clans et des associations), dans l'espoir de récupérer les ressources et le pouvoir dont le centralisme les prive.

Néanmoins, pour que ce processus ait une chance d'aboutir, les acteurs sociaux doivent s'identifier au gouvernement de leur territoire, le soutenir et contribuer à l'améliorer pour qu'il puisse exercer efficacement son mandat de représentant des intérêts de la population locale. Ils doivent aussi collaborer au travail pour améliorer la qualité et l'organisation des institutions et des services du territoire. C'est à cela que doit servir la participation : à renforcer à la fois le pouvoir des personnes, des gouvernements et des institutions du territoire qui les représentent.

En somme, l'identification de la population avec son territoire, son gouvernement, ses institutions et sa culture peut devenir un instrument de changement si elle sert non seulement à conquérir au niveau local ce qui est actuellement concentré au niveau central, mais aussi si elle facilite, par la même occasion, le dépassement de l'autoritarisme et du paternalisme au sein de la société locale.

Par ailleurs, organiser la gouvernance décentralisée du développement devrait permettre aussi de dépasser, au niveau du territoire, la séparation nette de compétences, professions et secteurs grce à laquelle les cultures autoritaires ont obtenu deux résultats importants : d'une part, séparer les individus et les groupes, en alimentant la compétition entre eux pour mieux exercer le contrle central, et d'autre part, répandre l'idée que la société est l'ensemble des individus qui y vivent et non pas l'expression de leur profonde nature sociale.

Conclusion

En conclusion, la référence au local peut servir à remettre en cause les instruments du développement traditionnel et à indiquer comment la plateforme du millénaire, aussi utopique puisse-t-elle paraître, pourrait orienter les processus des acteurs sociaux critiques. Cette remise en cause se base sur l'idée que le développement global pacifique, équitable et en équilibre avec l'environnement peut mieux se poursuivre à travers un réseau mondial de sociétés locales, guidées par des gouvernements proches des acteurs sociaux qui vivent dans des territoires bien définis. Ce réseau mondial, étant composé par des sujets politiques collectifs locaux légitimes, pourrait conquérir des espaces toujours plus importants de participation démocratique et de qualité du développement dans les négociations avec les instances nationales et internationales.

Il ne s'agit pas là d'un rêve de démocratie de base qui pourrait se passer des pouvoirs centraux, mais bien de reconnaître et de renforcer les indispensables pouvoirs de coordination et de gestion des institutions nationales et internationales, tout en tchant de redistribuer de manière utile et efficace les excès de pouvoirs et de ressources que les cultures autoritaires y ont concentré.

Dans tous les pays, les sujets politiques locaux du développement correspondent aujourd'hui aux populations et aux administrations des Régions, Provinces, Départements, Municipalités, Communes et autres dénominations des découpages politico-administratifs des états. De plus en plus, ces sociétés locales revendiquent un rle actif dans les processus de développement. La légitimité de ces revendications ne provient pas seulement de l'injuste marginalité à laquelle les états centralistes ont condamné les sociétés locales, mais surtout du fait qu'elles peuvent représenter, mieux que les niveaux centraux, les exigences de changement des populations de leurs territoires. Cette légitimité, en somme, se confirme surtout si elles tentent de ne pas reproduire, localement, les mêmes dynamiques centralistes, autoritaires, sectorielles et paternalistes des niveaux centraux, pour mettre en place, au contraire, de nouveaux modes de fonctionnement.

Concrètement, ce processus est déjà en cours. Sont innombrables les expériences des sociétés locales qui trouvent des solutions innovantes aux grands problèmes de la participation effective à la gouvernance démocratique du développement ; de l'utilisation rationnelle et durable des ressources naturelles, humaines et historiques du territoire à travers des processus de production qui créent de nouvelles opportunités de travail et valorisent l'environnement ; de l'intégration sociale des acteurs les plus exposés aux dynamiques d'exclusion ; de l'application de solutions innovantes en matière d'énergie renouvelable, de gestion des déchets, de transport, d'économie sociale, de services à la personne et ainsi de suite.

En réalité, les sociétés locales vivent déjà ce processus de changement en jouant légitimement le rle de protagonistes du développement, conformément à la plateforme du millénaire. Comme on aurait pu le prévoir, elles subissent aussi les résistances des grands pouvoirs économiques, financiers et idéologiques transnationaux, ainsi que celles des promoteurs nationaux des conceptions centralistes, autoritaires et paternalistes qui font hélas partie de toutes les formations politiques actuelles.

Si les acteurs publics, associatifs et privés du développement local prenaient au sérieux leurs potentialités, s'ils unissaient leurs forces en privilégiant ensemble des stratégies de décentralisation démocratique, s'ils apprenaient à utiliser les instruments conceptuels et opérationnels qui déjouent le mieux les instruments de gouvernement des cultures autoritaires, ils pourraient probablement raviver le débat dans tous les pays et obliger par-là les partis politiques à abandonner un tant soit peu leur mentalité centraliste, pour s'occuper davantage des problèmes concrets de la population.


*Luciano Carrino, neuropsychiatre de formation, est expert en coopération internationale au Ministère des Affaires étrangères italien et Représentant Exécutif du Comité Scientifique inter-agences des Nations Unies pour la coopération au développement humain.

1. Le mot est souvent utilisé pour faire allusion à une évolution optimiste de la vie sociale qui, pour certains, serait automatiquement assurée par la croissance économique produite par l'initiative privée et la compétition et, pour d'autres, par la redistribution de la richesse et la promotion des droits et des libertés démocratiques.

2. Il s'agit des mouvements de lutte pour la décolonisation et pour l'émancipation des ouvriers, des femmes etc., jusqu'aux mouvements pour la paix, la défense de l'environnement, les droits de l'homme, la lutte contre les institutions totales, l'économie sociale, l'agriculture de proximité, l'humanisation des professions dans les services de santé, dans les écoles etc..

3. Ce modèle existe actuellement partout sous différentes formes, de la forme " démocratique " de type occidental à la forme " dictatoriale ", comme le modèle chinois ou celui des dictatures laïques, fondamentalistes ou militaires de nombreux pays.

4. Toutes ces conceptions sont fluctuantes et peuvent se mêler entre elles, mais nous voulons relever ici les idées fondamentales qui les sous-tendent.

5. Cette plateforme est constituée par les déclarations et les plans d'action agréés entre tous les gouvernements. Ses objectifs et ses valeurs sont résumés dans la Déclaration du Millénaire. Les objectifs de développement sont : 1. Réduire l'extrême pauvreté et la faim. 2. Assurer l'éducation primaire pour tous. 3. Promouvoir l'égalité et l'autonomisation des femmes. 4. Réduire la mortalité infantile. 5. Améliorer la santé maternelle. 6. Combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d'autres maladies. 7. Assurer un environnement humain durable. 8. Mettre en place un partenariat mondial pour le développement. Les valeurs partagées, qui doivent être à la base des politiques de développement, sont : la liberté, l'égalité, la solidarité, la tolérance, le respect de la nature et le partage des responsabilités.

6. Ce tableau a été élaboré en vue d'une prochaine publication du Forum Global Local.

7. L'expression " centralisme démocratique " qui, en Union Soviétique cachait l'organisation autoritaire de l'état et sonnait comme une caricature, s'adapte parfaitement aussi l'organisation des états capitalistes.

8. Ces mots, par leur connotation positive très forte, occultent le fait que la communauté et la société civile sont composées d'individus et de groupes très différents, dont certains sont respectables et d'autres non. Ils occultent les conflits idéologiques et concrets à l'origine de toutes les luttes sociales au sein des sociétés. Le mot " communauté " entend souligner l'appartenance des acteurs à leur ethnie, leur religion, leur culture, leur nation, leur village, leur groupe, leur clan, leur famille, leurs associations etc. Ces appartenances sont souvent mises en valeur dans leurs particularités et spécificités, provoquant par-là des conflits violents au sein des sociétés et entre elles. Le problème s'explique par le fait que chaque culture autoritaire fragmente la société en groupes d'intérêts, " communautés " et clans en compétition entre eux, chacun étant mené par des autorités qui concentrent une série de responsabilités, de pouvoirs et, souvent, de ressources. On évoque d'ailleurs parfois aussi la communauté nationale ou internationale lorsqu'on veut insister sur l'intérêt que les gens auraient à s'identifier avec des idées et des valeurs homogènes avec les organisations stratifiées existantes. évoquer la communauté ne remet toutefois pas en question son organisation hiérarchisée et n'entache pas ses valeurs. Pour aller vers le changement, il faut remettre en question le principe d'autorité et ses excès, ce que les " communautés " ne font pas nécessairement.

Universitas Forum, Vol. 2, No. 1, September 2010





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