Oumar Wade et Alessandra Pierella - Universitas Forum, Vol. 6, No. 1, Septembre 2018
CONCEPTS CRITIQUES
POURQUOI UN CONCOURS NATIONAL SUR LES PRATIQUES INNOVANTES EN DÉVELOPPEMENT LOCAL?


Oumar Wade et Alessandra Pierella *

Dans le cadre du projet « Connaissance Innovatrice et Développement Local – CIDEL », financé par le Gouvernement italien, le Ministère sénégalais chargé de la Gouvernance Territoriale, du Développement et de l'Aménagement du Territoire (MGTDAT) a organisé la première édition du Concours National sur les pratiques innovantes en développement local. L'initiative a été pilotée par la Cellule de Planification et d'Évaluation Technique des Programmes et Projets (CPETP) du même ministère en tant qu'entité chargée de l'exécution du projet.

Le concours avait comme but d'identifier et de capitaliser les expériences innovantes en matière de développement local au Sénégal en vue de contribuer à leur meilleure diffusion aux plans national et international. Aussi, était-il un prétexte pour établir un partenariat stratégique entre la recherche et les institutions publiques pour favoriser l'engagement des universités dans les processus de développement de leurs territoires.

En effet, le Sénégal est un des pays de l'Afrique de l'Ouest le plus marqué par la vivacité et la multiplicité des dynamiques et des interventions dans le domaine du développement local, portées par divers types d'acteurs : l'État, la société civile locale et internationale (les organismes communautaires, les ONG, etc.), les collectivités territoriales, les partenaires techniques et financiers au développement, la coopération décentralisée.

Cependant, ces expériences n'ont pas encore débouché sur une masse critique d'informations capitalisables et susceptibles d'en dégager les traits structurants, les tendances lourdes, les leçons apprises, les conditions de succès ou encore les questionnements majeurs. Cette situation explique par ailleurs le fait que les innovations territoriales portées par les communautés restent cloisonnées, peu étudiées et valorisées par le monde de la recherche, peu diffusées, peu connues par les pouvoirs publics, courant ainsi le risque d'essoufflement précoce.

Voilà pourquoi l'idée d'organiser un concours national sur les pratiques innovantes en développement local est reconnue comme une initiative positive et de taille permettant de systématiser les expériences les plus significatives en vue de contribuer à les rendre visibles à travers leur diffusion aux niveaux national et international.

En s'inscrivant dans une démarche pionnière au niveau national, l'initiative a été effectivement prise en exemple par d'autres acteurs, si bien qu'aujourd'hui plusieurs types de concours sont organisés au Sénégal1.
Le présent article revient sur l'historique, ainsi que sur les dynamiques et les spécificités de cette initiative. Pour ce faire, il est organisé en cinq chapitres.

Le premier chapitre retrace le processus: la méthodologie et la démarche utilisées, les différentes étapes ayant permis d'arriver à cette publication. Le deuxième illustre ce qui peut être considéré comme la première innovation de taille du concours, à savoir la multiplicité et la variété des acteurs impliqués dans le processus. Les troisièmes et quatrièmes chapitres tentent d'aller en profondeur, en analysant respectivement les criticités et les points de force de l'initiative avec une attention particulière aux aspects novateurs ; enfin, le dernier chapitre tire les conclusions et dégage des perspectives.

Un processus participatif et structuré

Le processus s'est déroulé grosso modo en trois grandes phases. Entre la conception de la note d'orientation et l'habilitation des comités régionaux de présélection, une stratégie d'information et de communication a été déployée afin d'assurer l'appropriation du processus par les acteurs concernés. Dans une deuxième phase, la remontée des expériences présélectionnées a permis leur sélection et leur classement par le comité scientifique national suivant des critères préétablis de manière consensuelle. Enfin, la cérémonie de remise des prix, la capitalisation des expériences et leur diffusion, à la fois sous forme de vidéos et d'articles, ont bouclé le processus.

Le comité scientifique intégrait la presque totalité des universités du Sénégal, notamment: l'Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, l'Université Assane Seck de Ziguinchor (UASZ), l'Université Alioune Diop de Bambey (UADB) et l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) à travers l'École Supérieure d'Économie Appliquée (ESEA).

Le projet de note d'orientation, le premier document technique d'orientation et de cadrage qui devait servir de base à la rédaction des Termes de Référence (TdR) de l'activité initiée par le Coordonnateur du comité scientifique, a été partagé, examiné et validé par les autres membres lors d'un atelier élargi aux acteurs régionaux et nationaux. Ceci a constitué une première, qui a permis une interaction entre praticiens du développement local et chercheurs-universitaires. Ces moments de partage se sont soldés par la prise en compte des différents points de vue exprimés et ont permis de stabiliser la version finale de la note d'orientation. Parmi les améliorations apportées figurent l'élargissement de l'activité à toutes les quatorze régions du Sénégal, la définition des catégories d'acteurs admises à présenter leurs pratiques innovantes et des thématiques principales et transversales. Au final, le concours était ouvert aux Collectivités territoriales (CT) et Organisations Communautaires de Base (OCB) qui pouvaient présenter leurs expériences dans trois thématiques principales (accès aux services sociaux de base, développement économique local, gouvernance) et/ou dans trois thématiques transversales (genre, environnement et paix et sécurité).
Les comités régionaux de sélection2 étaient chargés de diffuser les informations au niveau local et d'assurer le dépôt des dossiers et la sélection de deux meilleures pratiques présentées, respectivement, par une OCB et une CT suivant une feuille de route établie d'un commun accord avec le Comité scientifique et l'Unité de coordination du projet.

Sous la houlette du Comité scientifique, l'évaluation, le classement et la sélection des expériences présélectionnées par les régions ont été effectués en étroite collaboration avec les deux représentants du ministère chargé de la gouvernance territoriale, du développement et de l'aménagement du territoire. Auparavant, une équipe de doctorants et d'étudiants en master dans les universités partenaires a été constituée en vue de recueillir les données complémentaires et de rédiger les rapports de capitalisation des expériences présélectionnées, en liaison avec leurs professeurs encadreurs. Les étudiants ainsi engagés dans le processus ont d'abord été formés par le comité scientifique pendant deux jours sur la méthodologie et les outils nécessaires au bon déroulement de leur tâche.

Chaque étudiant couvrait deux expériences dans une des régions de compétence de son université et était encadré par un professeur représentant la même structure. La mission durait environ deux mois et les assistants de recherche ont été accompagnés, entre autres, par le coordinateur du concours. Pendant la mission de terrain, les assistants de recherche ont pu interviewer les personnes clés et les principaux acteurs protagonistes des expériences et renseigner les informations nécessaires à comprendre la dynamique et la valeur ajoutée de chacune d'entre elles (par exemple la durabilité, les résultats, les défis, les aspects innovants, etc.).

C'est donc sur la base des résultats de ces missions de terrain menées par les étudiants, sanctionnées par la production de rapports de capitalisation, que la dernière sélection au niveau national a pu se faire.
Afin d'assurer l'impartialité de la sélection, un double niveau d'évaluation a été utilisé : d'abord une notation individuelle croisée, effectuée par les membres du comité scientifique national. Ensuite, une restitution de cette première en plénière a permis le partage des opinions de chaque évaluateur et l'harmonisation de la notation.

Àla sortie de l'atelier de sélection, un classement pour chaque catégorie avait été établi. Cet exercice a ainsi fait ressortir trois gagnants pour les OCB et trois gagnants pour les CT.

La cérémonie officielle de remise des prix aux six premières expériences a été organisée à Dakar sous la présidence du Ministre chargé de la gouvernance locale. Cela a été un moment de célébration et de communication sur les innovations et les territoires.

Le processus a été long et, parfois, complexe. L'ampleur de la zone d'intervention, la multiplicité et la diversité des acteurs, tant pour leur formation que pour leur rôle, ont demandé un effort considérable en termes de partage et d'harmonisation du langage et des approches, ainsi que de coordination et d'organisation. Néanmoins, ces mêmes aspects représentent en même temps la valeur ajoutée du concours.

L'importance de la pluralité

En effet, en dehors de l'équipe de projet, plusieurs acteurs ont participé à des moments du processus et avec des rôles différents selon les nécessités. Parmi les principaux acteurs, nous pouvons compter : les professeurs et les étudiants des universités du Sénégal, les services techniques déconcentrés de l'État, le personnel du MGTDAT.

Chaque université avait désigné un représentant pour intégrer le comité scientifique coordonné par M. Sambou Ndiaye de l'UGB. Le comité scientifique a participé à tout le processus selon une implication et une ampleur, variables selon les moments. M. Ndiaye assurait ainsi l'interface entre le comité scientifique et le coordonnateur du projet.

Par ailleurs, dans un souci de participation et de transparence, la validation de la note, comprenant également les critères d'admission et d'évaluation, a été a soumise, au-delà du comité scientifique élargi, aux représentants des services déconcentrés de toutes les quatorze régions du Sénégal.

Le comité scientifique élargi a également été mobilisé pour la phase d'instruction des dossiers et de présélection au niveau régional. Les comités régionaux de sélection étaient composés de représentants des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l'État et épaulés par l'UGP et le coordonnateur du comité scientifique. Les comités régionaux de sélection ont reçu, examiné et transmis au comité scientifique national les 28 expériences qui ont par la suite été documentées.

Le comité scientifique restreint a repris ses fonctions au moment de la documentation des expériences et de la sélection finale au niveau national. Les étudiants étaient chargés d'assurer le travail de documentation des 28 expériences sur le terrain et ont rédigé les rapports quantitatif et qualitatif sur chacune d'elles ayant servi de document de référence aux travaux du comité scientifique.

Enfin, le coordonnateur du comité s'est occupé de la rédaction du rapport de capitalisation du processus dans son ensemble et a aussi poursuivi le travail avec son homologue de l'UASZ pour la rédaction de la version finale des articles publiés sur la revue en ligne Universitas Forum du Programme Universitas de l'École Internationale KIP, en collaboration avec les étudiants.

Ce mécanisme, multi-acteurs à géométrie variable, était un des véritables points de force de cette activité, qui a eu le mérite de regrouper et de faire travailler ensemble des catégories d'acteurs normalement déconnectées et cloisonnées.

Un parcours à obstacles

Bien que le concours ait été accueilli avec enthousiasme par les acteurs locaux et que le résultat final ait été positif, des difficultés sont apparues le long du processus. Comme indiqué auparavant, l'ampleur de la zone d'intervention (14 régions), ainsi que la multiplicité et la diversité des acteurs, tant pour leur formation que pour la répartition de leurs rôles respectifs, ont été des contraintes à gérer. Cela concerne tant les ressources financières et humaines que la coordination et le suivi des activités.

Un autre aspect critique est lié à l'encrage politique, institutionnel et administratif de l'activité portée par un projet. En effet, l'activité a subi, d'un côté, le retard de la mise à disposition de fonds de la part du partenaire financier ; de l'autre, les lenteurs administratives propres à la bureaucratie. Ces deux aspects ont contribué à ralentir le déroulement du concours en plusieurs occasions, allongeant ainsi la durée de mise en oeuvre.

De même, la participation de certains services déconcentrés de l'État n'a pas toujours été régulière du fait de changements institutionnels intervenus au cours du processus. Ces changements ont impacté tant la continuité que la bonne circulation des informations.

Il faut aussi remarquer le manque d'expérience des étudiants dans la conduite d'un tel processus de recherche participative. Aussi, n'ont-ils pas bénéficié de tout l'appui et du suivi attendus de leurs professeurs. Ces défaillances ont eu un impact négatif sur la qualité de certaines études de capitalisation.

Une dernière contrainte, mais pas des moindres, est relative à la communication qui aurait pu contribuer à une participation plus massive au concours. Une meilleure communication aurait certainement pour effet d'accroître substantiellement le nombre de dossiers reçus.

La force de l'innovation

En créant les conditions de co-production permettant aux praticiens et universitaires d'interagir dans le domaine du développement local, le concours a permis le décloisonnement et la collaboration active entre chercheurs et gestionnaires publics.

Une autre innovation de taille se situe au niveau de la démarche fortement participative de conception et d'exécution du concours, installant ainsi une « démocratisation » de l'innovation sur les territoires. Plusieurs espaces de consultation et de validation ont été mis en place en vue d'impliquer les parties prenantes à la co-construction à chaque étape du déroulement du processus. Le but était d'assurer un bon niveau d'implication des différents acteurs, ainsi que l'appropriation de l'activité et sa durabilité.

Le bon rapport centre-périphérie et la manière dont il a été structuré peuvent aussi être mentionnés parmi les points forts du concours. Les différents niveaux ont été impliqués et ont bénéficié des mêmes informations et du même traitement, sachant que chaque acteur à chaque niveau de la chaîne contribue à la bonne réussite de l'activité. Les acteurs locaux ont été responsabilisés dans l'identification et la pré-sélection des meilleures expériences de leur localité.

Enfin, la contribution et la participation du monde académique, notamment des professeurs, mais aussi des étudiants, ont été déterminantes. Cela a permis aux étudiants de renforcer leur expérience de terrain, assez différente de celle issue de leur cursus académique. Les étudiants ayant participé au processus ont pu renforcer leurs capacités en recherche-action, en écriture scientifique ainsi qu'en matière de capitalisation d'expériences.

Quel futur pour le concours ?

L'expérience du concours a été enrichissante, tant du point de vue professionnel que personnel, pour les acteurs qui y ont participé : la démarche fortement participative ainsi que les résultats finaux ont été appréciés par toutes les parties prenantes.

Aujourd'hui, après la clôture du projet CIDEL, il est question de savoir quelle suite donner au concours et comment faire pour le pérenniser.

Certes, la première édition du Concours national des pratiques innovantes en développement local a été une activité pionnière et intéressante, mais en même temps complexe. Les réponses aux points faibles évoqués plus haut indiquent clairement que les prochaines éditions vont s'appuyer sur l'expérience capitalisée de cette première édition, riche en enseignements.

À cet effet, il est question à l'avenir d'autonomiser le dispositif de pilotage et d'organisation, ainsi que le Comité scientifique national. Toutefois, la composition, l'organisation et le fonctionnement dudit comité devraient être revus dans le sens de le rendre plus autonome financièrement et plus inclusif en l'élargissant à d'autres instituts de recherche évoluant dans les thématiques du concours.

Par ailleurs, l'initiative gagnerait à être élargie à d'autres acteurs, tels que le secteur privé ou les ONG qui sont souvent porteurs d'initiatives positives et intéressantes.

Il demeure également fondamental de stabiliser le rôle des universités et de valoriser davantage l'apport des étudiants afin de mettre à leur disposition une opportunité de formation réelle et pratique.
En conclusion, le concours est une expérience positive qui nécessite, néanmoins, d'être revue et ajustée pour pouvoir être répliquée afin de profiter au mieux au développement des territoires du Sénégal. Il reste entendu que l'innovation territoriale demeure un enjeu majeur du développement local.


* Oumar Wade est coordonnateur de la Cellule de Planification et d'Évaluation Technique des Programmes et Projets (CPETP) du Ministère de la Gouvernance Locale, du Développement et de l'Aménagement du Territoire (MGLDAT). De 2013 à 2015 il a été Coordonnateur du Programme CIDEL.
Alessandra Pierella a commencé son expérience au Sénégal dans le cadre du Programme CIDEL et continue de collaborer avec KIP IS et le MGTDAT, ainsi qu'avec d'autres orgnaisations non gouvernamentalles (ONG) au Sénégal.

Universitas Forum, Vol. 6, No. 1, Septembre 2018





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