Sergio Giani, Rokia Sanogo - Universitas Forum, Vol. 2, No. 2, July 2011
CONCEPTS PRATIQUE
MEDECINES TRADITIONNELLES ET DEVELOPPEMENT LOCAL : METHODOLOGIES ET APPROCHES

Sergio Giani, Rokia Sanogo *

Introduction

Nous vous présentons dans cet article quelques réflexions méthodologiques qui pourraient être utiles dans la préparation et la mise en œuvre d'interventions dans le domaine de la valorisation des ressources des médecines traditionnelles (MT). Nous tenons à souligner qu'il ne s'agit pas d'une construction théorique, mais du résultat de longues années d'expériences de terrain et de réflexions participatives, menées avec différentes personnes ressources et plusieurs acteurs de terrain.

En général, les préoccupations des développeurs et des chercheurs qui ont travaillé dans le domaine des savoirs locaux de santé ont été principalement axées sur la nécessité de repérer et d'inventorier les connaissances sur les MT en général et sur les plantes médicinales en particulier. Ce qui est selon nous acceptable dans le cadre de projets de recherche fondamentale, mais très réducteur dans le cadre de projets de développement… Nous pensions, au contraire, qu'il était grand temps de passer des études sur les MT à un dialogue avec les acteurs des MT sur les priorités sanitaires, socio-économiques et environnementales les concernant. Notre préoccupation a toujours été d'identifier les lignes d'une intervention centrée sur la valorisation du rôle des acteurs des MT, dans le contexte du renforcement des systèmes locaux de santé et de la sauvegarde de la diversité biologique végétale. Une intervention qui soit reproductible et efficace à un coût abordable, avec des indicateurs objectivement vérifiables permettant d'en mesurer l'impact. C'est ainsi que nous avons préféré à l'approche anthropologique classique une approche qui permettrait d'accompagner et, pourquoi pas, de "piloter" les processus de changement social (Giani 2010).

Nous avons toujours pensé qu'il n'était pas possible de mener des actions de développement local sans la recherche et que la création de passerelles entre développeurs et chercheurs était une nécessité incontournable. Mais nous étions aussi convaincus que les méthodes classiques de recherche n'étaient pas adaptées à nous aider dans nos efforts de promotion du développement local et de valorisation des savoirs locaux de santé.

La conception classique de la recherche

Dans la recherche classique, ou conventionnelle, l'approche analytique est privilégiée : il s'agit d'essayer d'isoler les éléments de l'univers observé et de les remettre ensemble, conceptuellement ou expérimentalement, pour comprendre comment l'ensemble des composantes peuvent marcher ensemble.

Cette approche peut être utilisée non seulement dans le domaine des disciplines dites scientifiques, comme la chimie, la physique, la biologie mais aussi les sciences dites sociales, comme la psychologie, la sociologie, l'anthropologie, etc. (von Bertalanffy, 1971). Une telle approche suppose donc de pouvoir décomposer la réalité en petites unités ayant entre elles des relations essentiellement linéaires à correspondance biunivoque, la même action donnant toujours le même effet (Grodos, Mercenier, 2000).

  • L'objectif de la recherche conventionnelle vise l'accroissement des connaissances sur une réalité donnée ;
  • La contribution scientifique de la recherche conventionnelle repose sur l'universalité des résultats ;
  • L'utilité pour l'action de la recherche conventionnelle réside donc en un apport d'informations pouvant servir à l'identification des moyens d'action possibles. Mais l'action n'est pas l'objectif directement poursuivi ;
  • La position de l'objet de l'étude est externe au processus de recherche ;
  • La position du chercheur se présente comme neutre par rapport au processus de recherche ;
  • Le type de problème étudié peut être aussi bien technique que social ;
  • La durée de l'étude peut être très variable ;
  • La zone de recherche ne présente d'intérêt que si elle est représentative des ensembles plus vastes pour lesquelles les conclusions seront tirées.

La limite la plus importante de l'approche classique est le manque de l'approche systémique, c'est-à-dire de l'étude de l'ensemble des éléments de la réalité donnée, ayant des relations complexes et circulaires entre eux. Ce qui amène à distinguer entre utilité et efficacité d'une action donnée, la première étant lié au résultat espéré dans les conditions expérimentales, la deuxième étant en relation avec les résultats effectivement atteints en situation réelle.

L'approche systémique

Un système est défini comme un ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisé en fonction de maintenir sa fonctionnalité et de permettre son adaptation à un environnement changeant (Hall, Fagen, 1958).

L'approche systémique se concentre donc sur les interactions entre les différents éléments de la réalité étudiée et considère les effets desdites interactions, en s'appuyant sur une perception globale, ou modèle, de la dite réalité. L'approche systémique passe donc par la construction de modèles. Un modèle est défini comme la représentation simplifiée et hypothétique d'un processus ou d'un système. Il résulte de l'analyse de l'état des connaissances sur la réalité donnée, c'est-à-dire de l'étude et la confrontation d'expériences concrètes dans le domaine donné. Le rôle de la recherche sera ainsi de confirmer, d'infirmer ou d'enrichir le modèle, ou l'hypothèse de recherche, en question. La validation se réalise par comparaison du fonctionnement du modèle avec la réalité.

L'approche systémique est ainsi efficace lorsque les interactions entre les différents éléments sont "compliquées", c'est-à-dire complexes, non linéaires et non univoques. Il est donc indispensable dans les domaines de recherche sur les savoirs locaux, qui relèvent d'une réalité complexe et organisée, ou les facteurs sociaux, culturels, environnementaux, économiques, politiques, et j'en passe, déterminent l'efficacité ou l'inefficacité d'une action. D'où une ultérieure caractéristique de l'approche systémique : l'interdisciplinarité.

Toutefois, l'opposition entre approches analytique et systémique n'est pas absolue : elle peut bien intégrer des résultats de recherches analytiques et même des démarches analytiques, car une approche systémique absolue est en réalité impossible.

La recherche opérationnelle

La recherche opérationnelle est une démarche scientifique appliquée à l'étude d'un système complexe, servant à optimiser la prise de décision pour l'amélioration de l'efficience du système, avec des objectifs quantitativement définis (Grundy, Reinke, 1973).

Un des aspects importants de la recherche opérationnelle est la construction, à support de la prise de décision, d'un modèle mathématique représentant le système étudié, servant de base à l'étude de l'impact des différentes options possibles (Grodos, Mercenier, 2000).

  • L'objectif de la recherche opérationnelle est la prise de décision optimale dans une situation donnée ;
  • La contribution scientifique de la recherche opérationnelle consiste dans une connaissance strictement liée à la situation originelle ;
  • L'utilité pour l'action consiste dans la construction d'un modèle a support de la prise de décision. La validation du modèle devrait passer par son test dans l'expérience pratique ;
  • L'approche de la recherche opérationnelle est systémique et pluridisciplinaire ;
  • La position de l'objet de l'étude est externe au processus de recherche ;
  • La position du chercheur se présente comme neutre par rapport au processus de recherche ;
  • Le type de problème étudié comporte une dimension technique prépondérante ;
  • La durée de l'étude peut être très variable ;
  • La zone de recherche ne présente d'intérêt que si elle est représentative de zones de recherche semblables, dans lesquelles il serait possible de se référer au même modèle.

Etant un outil d'appui à la prise de décision, rien ne dit que l'application concrète à large échelle des hypothèses élaborées permettrait l'obtention des résultats escomptés. Mais la limite la plus importante de la recherche opérationnelle est qu'elle ne convient pas aux problèmes ne pouvant pas être objet d'une prévision quantifiée avec une précision suffisante. Elle prend donc difficilement en compte notamment l'importance des facteurs humains et comportementaux difficilement quantifiables.

La recherche-action (RA)

La RA prend effectivement en compte ces variables dites non quantifiables, c'est-à-dire les facteurs humains et comportementaux. Ces variables sont identifiées par immersion du chercheur dans l'objet de la recherche et par le test de ces variables dans l'action. Commençons donc à présenter quelques caractéristiques de la RA :

  • La RA est orientée vers le futur ;
  • La RA est collaborative, impliquant l'interdépendance entre le chercheur et le système étudié ;
  • La RA implique le développement du système et est orienté à la résolution des problèmes;
  • La RA engendre une théorie fondée sur l'action, qui doit être réexaminée face à une nouvelle situation.

Le modèle sur lequel est basé la démarche de la RA n'est pas mathématique, mais comportemental, basé sur des hypothèses dynamiques, qui ne sera utilisé qu'une fois compris, accepté et reconnu par le groupe moteur de la RA, qui implique chercheurs et acteurs (Grodos, Mercenier, 2000).

  • La RA est une recherche orientée à l'action, menée avec les acteurs sociaux et non seulement sur les acteurs sociaux ;
  • La RA est une recherche impliquée, refusant l'observation neutre des phénomènes ;
  • La RA c'est une recherche imbriquée, dans laquelle les acteurs font partie intégrante du groupe de recherche;
  • La RA est une recherche engagée, qui accompagne un processus de développement social.

Les résultats d'une RA devraient ainsi toujours permettre non seulement de mieux connaître la réalité dans laquelle la recherche est menée, mais aussi de la faire évoluer possiblement en mieux, en évaluant l'impact de la mise en ouvre des hypothèses de changement élaborées et validées, dans un rapport d'échange continu et paritaire avec les différents acteurs.

  • L'objectif de la RA est l'accompagnement d'un processus collectif d'évolution sociale ;
  • La contribution scientifique de la RA consiste en une connaissance reposant sur des résultats situationnels;
  • L'utilité pour l'action est l'élaboration d'un modèle comportemental, qui est en même temps instrument et résultat de la recherche, l'action étant la base pour la validation du modèle ;
  • L'approche de la recherche action est systémique, pluridisciplinaire et participative;
  • La position de l'objet de l'étude est interne au processus de recherche ;
  • La position du chercheur n'est pas neutre par rapport au processus de RA. Il est au contraire impliqué non seulement dans la recherche mais aussi dans l'action;
  • Le type de problème étudié présente une dimension sociale, institutionnelle et comportementale prépondérante ;
  • La durée de la RA s'inscrit dans le long terme ;
  • La zone de recherche ne doit pas être nécessairement représentative. Elle doit par contre être favorable à la RA, permettant de démontrer qu'à certaines conditions le changement souhaité est possible.

La RA est donc une démarche collective de longue durée, entreprise en collaboration avec des groupes spécifiques insérés dans un contexte réel, dont la finalité, les objectifs et les orientations sont discutés et négociés avec les acteurs sociaux. Dans ce cadre, les données recueillies n'ont pas de valeur et de signification en soi, mais elles sont intéressantes en tant qu'éléments d'un processus de changement social : dans ce sens, l'objectif de la RA est une situation sociale considérée dans un ensemble en évolution. Il est à souligner que, dans un contexte de RA, l'équipe de recherche abandonne, provisoirement au moins, le rôle d'observatrice extérieure au profit d'une attitude participative, ce qui n'exclut pas la distance critique (Mayer, Ouellet, 1991).

Deux autres caractéristiques sont essentielles dans le processus de RA : son caractère circulaire et sa dimension formative (Goyette, Lessard-Hébert, 1987). En effet, la création de l'information et son retour entre les différentes phases sont sources permanentes de modifications possibles de la conduite de la recherche et des hypothèses d'action. Ce qui n'exclut pas l'identification d'indicateurs d'impact et une auto-évaluation permanente de l'efficacité des choix effectués. Car, dans un contexte social et sanitaire dramatique dans lequel nos recherches sont menées, l'option pour une démarche qualitative ne doit pas nous soustraire à l'obligation des résultats. Un des objectifs de la RA est aussi la création et l'appropriation du savoir par les acteurs sociaux. C'est à dire que le but n'est pas l'acquisition ou la transmission des connaissances, mais la maîtrise du processus même de création du savoir (Susman, Evered, 1978). Dans ce sens, la participation à une RA est formatrice pour l'ensemble des participants, y compris les chercheurs.

La démarche de la RA

Dans les Figures de 1 à 3, nous présentons la démarche de la RA et ses différents cycles. Nous tenons à souligner qu'il s'agit du résultat de longues années d'expériences de terrain et de réflexions participatives, menées au Mali dans le domaine de la valorisation des ressources de la MT, de la santé communautaire et de la décentralisation, dans le District Sanitaire de Kadiolo (Région de Sikasso) et ailleurs. Nous tenons à souligner aussi que la méthodologie et les approches de la RA nous semblent particulièrement adaptées aux domaines que nous venons de citer, mais aussi à tous processus de développement humain durable au Mali et en Afrique, où les comportements humains sont déterminés par des relations complexes et plurielles des individus, des familles et des communautés avec l'environnement, la géographie, l'histoire, la culture, la politique, l'économie et les religions (Giani 2008).

Il s'agit, dans le premier cycle, présenté dans la Figure n° 1, d'identifier les acteurs à impliquer dans les groupes de recherche et d'établir dans le dialogue avec eux l'état réel des connaissances sur le problème ou les problèmes visés, en comparant les résultats de l'étude de la documentation disponible avec les connaissances, compétences et expériences des uns et des autres.


Figure 1: L'état des lieux et les hypothèses de changement

Sur la base de cet état des lieux participatif, il sera possible définir le modèle comportemental, c'est-à-dire les hypothèses de changement et les actions nécessaires pour attendre les changements visés, tout en définissant les rôles et les responsabilités des uns et des autres. C'est dans cette phase qu'il faudra définir les actions à mener, en fonction certainement des fonds disponibles mais aussi des priorités exprimés par les acteurs locaux et de l'impact espéré sur leurs comportements individuels et collectifs. A chaque étape du cycle, il doit être possible de modifier ou d'affiner le modèle en revenant sur la documentation disponible ou sur les réflexions de groupe, jusqu'à l'appropriation du modèle proposé par tous les acteurs de la RA.

Il s'agit, dans la deuxième phase de la RA, présenté dans la Figure n° 2, de vérifier dans la pratique sociale le modèle proposé, par la mise en œuvre participative des actions identifiées. C'est dans ce cycle que la méthodologie de la RA peut se "contaminer" avec l'approche du Cadre Logique et de la recherche conventionnelle, dans la programmation des actions à mener, des objectifs à atteindre et dans l'identification, la collecte et l'analyse des Indicateurs Objectivement Vérifiables à utiliser pour évaluer de l'impact des actions menées. La différence principale est qu'il s'agit d'un processus circulaire, véritablement participatif et flexible, ou l'autoévaluation doit permettre de confirmer les hypothèses de départ, mais aussi d'y revenir, les cas échéant, pour parfaire ou pour changer le modèle comportemental proposé au départ.

La Figure n° 3 montre le cycle de l'évaluation, de la capitalisation et de la diffusion des résultats. Le point de départ est l'autoévaluation d'impact des activités réalisées effectuée par les chercheurs et les acteurs locaux. Il s'agit d'utiliser le système local de collecte et d'analyse des IOV mis en place pour évaluer l'efficacité des actions proposées pour atteindre les changements espérés. Si l'évaluation est positive, les hypothèses dynamiques identifiées sont validées. Sinon, il faut revenir sur les hypothèses de départ et reprendre le cycle précédent.


Figure 2: La mise en œuvre des actions de changement

Ce processus doit être mené avec un échange continu d'informations entre chercheurs et acteurs, tout en assurant la restitution aux communautés qui devraient devenir les protagonistes du changement. Une fois les résultats espérés atteints, il est possible de passer à la phase de capitalisation et de diffusion des résultats, tout en sachant que dans le cadre de la RA, la capitalisation et la diffusion doivent concerner surtout la méthodologie et les approches, car le modèle validé est strictement lié à la situation concrète dans laquelle la RA a été menée.


Figure 3: L'évaluation, la capitalisation et la diffusion des résultats

L'échange dynamique

Les expériences menées nous ont appris l'importance, dans toute occasion de rencontre avec les acteurs locaux, d'utiliser les principes de l'échange dynamique (Foy-Sauvage, Rebuffel, 2003), que nous présentons dans la Figure n° 4. Dans nos approches, il ne s'agissait pas de formations ou de recyclages classiques, au cours duquel les formateurs essayent de transmettre des éléments de connaissance et de compétence aux participants. Il s'agissait de faciliter un échange interculturel entre les différents acteurs, au cours duquel les expériences, les compétences et même les certitudes des uns et des autres sont étudiées et valorisées, mais aussi, si nécessaire, mises en discussion. Il s'agit aussi d'un processus cyclique, avec un retour constant d'informations entre les "formateurs" et les "formés".


Figure 4: Les principes de l'échange dynamique

Nous avons développé cette approche surtout dans le cadre des actions menées pour l'implication des accoucheuses traditionnelles dans la promotion de la maternité à moindre risque à Loulouni, Cercle de Kadiolo, en 2001, à Mory, Cercle de Bandiagara, en 2002, à Kolokani en 2003 et 2004 et à Zégoua et Dioumaténé (Cercle de Kadiolo) de 2005 à 2009 (Sanogo, Giani, 2009 ; 2009a). Grâce aux échanges entre le personnel de santé moderne et les actrices du système traditionnel de suivi de la grossesse et d'assistance à l'accouchement lors des ateliers d'informations et d'organisation, il a été toujours possible d'améliorer les actions des uns et des autres et d'identifier des comportements conséquents pour permettre l'accès rapide des femmes à risque au système de prise en charge des urgences obstétricales. L'information et l'organisation des accoucheuses traditionnelles sur le système de prise en charge des urgences obstétricales ont facilité l'accès des femmes à risque aux soins obstétricaux d'urgence, tout en augmentant les taux de consultation prénatale, d'accouchement assisté et de vaccination des nouveaux-nés.

La priorité était de réaliser un dialogue franc et fructueux entre les acteurs des deux systèmes. Pour ce faire, la méthodologie que nous avons toujours recommandée a été l'ouverture des esprits, le respect réciproque, le courage des uns et des autres à se mettre en discussion, la disponibilité de tous à écouter et à apprendre, la reconnaissance de la part de tous de ses propres limites : c'est-à-dire d'essayer de développer une discussion franche et paritaire pour trouver des solutions réalistes et pragmatiques à des problèmes aussi bien concrètes que dramatiques.

La communication inter-culturelle

Pendant toute occasion de dialogue avec les acteurs locaux (Photo 1 et 2) nous avons aussi essayé de privilégier les principes de la communication interculturelle (Stockinger 2001-2002). Il s'agissait de :

  • Utiliser le plus possible les langues locales;
  • Valoriser les connaissances, expériences et compétences locales;
  • écouter attentivement et comprendre les dits et les non-dits des uns et des autres ;
  • Adapter la communication au vécu quotidien des acteurs locaux.

Nous nous excusons si ces principes peuvent sembler évidents et universellement acceptés et utilisés, mais les expériences vécues nous ont appris que les chercheurs et les développeurs préfèrent souvent la facilité à l'effort. Et que les interlocuteurs locaux sont souvent choisis plus en fonction de leur capacité d'utiliser la langue de Molière que sur la base de leurs compétences, et expériences et de leur rôle social dans la communauté.


Photo 1: Formation des femmes herboristes de la FEMATH sur le bonnes pratiques de collecte, du stockage et de présentation des plantes médicinales, Bamako, Avril 2011


Photo 2: Formation des femmes herboristes de la FEMATH en gestion, Bamako, Avril 2011

Les spécificités du genre

La nécessité de la prise en compte des spécificités du genre dans les actions de développement peut aussi sembler évidente (Wennerholm, 2001). Malheureusement ce n'est pas toujours vrai sur le fond, même si on en parle souvent pour la forme. Nous avons été souvent confrontés à des problèmes de genre qui n'avaient pas été pris en compte, menant ainsi à l'échec les actions de développement. C'est pour cela que nous avons toujours essayé de comprendre, de souligner et d'identifier des modes de comportement et des lignes d'action visant à surmonter les inégalités entre les hommes et les femmes dans la famille et dans la communauté :

  • Dans le droit à la parole;
  • Dans la prise de décision;
  • Dans l'accès aux ressources;
  • Dans l'accès aux informations et aux connaissances ;
  • Dans les choix concernant leur personne, leur famille et leurs enfants.

Un exemple : quand nous avons essayé de comprendre les raisons de l'accès difficile des femmes à risque obstétrical au système moderne de prise en charge des urgences à Kolokani (1999), nous nous sommes rendus compte que lors des visites aux villages (Photo 3) le nouveau système avait été présenté à la chefferie traditionnelle et aux leaders communautaires… mais pas aux accoucheuses traditionnelles, qui ont en charge dans les villages le suivi des grossesses et l'assistance aux accouchements (Sanogo, Giani, 2009).


Photo 3: Atelier d'autoévaluation assistée des accoucheuses traditionnelles, Sébékoro, Kolokani, 2003

Nous aimons rappeler aussi le cas des femmes de Dioumaténé (Photo 4) dans le cadre d'une concertation communale pour le renforcement des systèmes locaux de santé (2005).


Photo 4: Concertation des femmes a Dioumaténé, 2005

A nos questions concernant les appuis souhaités pour leur épanouissement économique et social et pour l'accès aux soins de santé pour elles mêmes et pour leurs enfants, les femmes de Dioumaténé ont répondu en nous demandant de les aider à discuter avec leurs hommes pour une prise de décision plus rapide et harmonieuse dans la famille (Giani, 2008).

L'empowerment des acteurs locaux

Notre pratique sociale nous a souvent amené à réfléchir sur l'impact de nos actions de développement sur les relations de nos partenaires, surtout les acteurs des MT, avec l'environnement social et humain dans lequel ils vivent et opèrent. Cette réflexion a concerné en premier lieu, mais pas exclusivement, les femmes. L'approfondissement du concept de l'empowerment nous a aidé à mieux comprendre les mécanismes de l'évolution sociale qui nous étions en train d'accompagner. Dans ce sens, l'empowerment nous semble aujourd'hui inséparable de la notion de développement durable, car ce dernier est fondé sur la participation critique et active de tous les acteurs locaux, dont les groupes les plus défavorisés et marginalisés.

Il y a dans la littérature plusieurs définitions concernant le concept d'empowerment (Charlier, Caubergs, 2007 : 45 ; Hofmann, 2003 : 13).
L'importance démontrée d'une compréhension pluraliste de ce concept nous a amené à aborder les questions de recherche à différents niveaux, (individuel, social et communautaire) et selon différentes perspectives (psychologique, organisationnelle, sociale, éthique et communautaire). Cependant, les notions de caractéristiques individuelles (le sentiment de compétence personnelle, de prise de conscience et de motivation à l'action sociale), ainsi que celles liées à l'action, aux relations avec l'environnement et avec la communauté et à leurs dimensions dynamiques font l'unanimité. Nous pouvons définir l'empowerment comme la façon par laquelle l'individu accroît ses capacités et ses compétences, favorisant l'estime de soi, la confiance en soi, l'initiative sociale et le contrôle de sa propre vie, dans le cadre d'un processus social de reconnaissance et de promotion. C'est ainsi qu'il pourra satisfaire ses propres besoins, régler ses problèmes et mobiliser les ressources qui lui sont nécessaires, de façon à assumer le contrôle de sa propre vie. Les notions de sentiment de compétence personnelle, de prise de conscience et de motivation à l'action sociale y sont associées. L'empowerment demande un effort individuel qui est alimenté par des efforts collectifs de collaboration et par le changement de l'environnement de la famille et de la communauté. L'empowerment comporte quatre composantes essentielles: la participation, la compétence, l'estime de soi et la conscience critique (conscience individuelle, collective, sociale et politique).

Lorsque l'empowerment se situe au niveau collectif ou communautaire (Hofmann 2003), il participe au renforcement des dynamiques communautaires et au développement local par les attitudes, les valeurs, les capacités, les structures organisationnelles et le leadership. L'empowerment communautaire devient un processus au moment où il y a interaction entre la coopération, la synergie, la solidarité, la transparence et la circulation de l'information, le tout basé sur les forces du milieu. Il est le résultat de la participation à des actions collectives et il requiert la participation active des personnes, où la redistribution des responsabilités et des ressources est favorable pour le groupe. L'unité d'analyse devient ainsi le groupe ou la communauté. L'empowerment communautaire se déroule en plusieurs étapes : la découverte des membres du milieu entre eux ainsi que le dialogue et l'établissement d'un sentiment d'appartenance au groupe. Après concertation, le groupe pose un diagnostic de la situation dans lequel il se trouve et formule par la suite des objectifs à atteindre.

L'un des objectifs de l'empowerment communautaire est de rendre la communauté capable d'analyser sa situation, de définir ses problèmes et de les résoudre afin qu'elle jouisse pleinement de ses droits sociaux et économiques. C'est ainsi de l'attention aux processus d'empowerment doit se retrouver dans une démarche de RA.

Nous présentons dans les lignes qui suivent quelques petits exemples liés à nos expériences de terrain :

a) Pendant les recherches menées à Kadiolo de 2001 à 2003 sur la valorisation des ressources la médecine traditionnelle (Giani 2010), les tradithérapeutes nous ont souvent dit : « Nous étions découragés. Mais le fait que vous avez continué à venir nous voir, nous a fait comprendre que ce que nous faisions et connaissions était important » ;

b) Toujours à Kadiolo, dans le cadre d'une recherche-action sur décentralisation, santé communautaire et MT menée de 2004 a 2009 (Giani 2008), la participation des tradithérapeutes aux groupes de réflexion sur la santé dans l'espace communal a permis d'intégrer la médecine traditionnelle dans les Programmes Communaux de Développement Socio-Sanitaire. En outre, les autorités communales ont accepté d'assigner aux associations de tradithérapeutes des hectares de forêts pour la protection et la réintroduction d'espèces médicinales.

c) A Bamako, la fourniture de kiosques aux femmes herboristes des marchés de la ville à partir de 2006 (Sanogo, Giani, 2009b) a permis d'améliorer leurs conditions de travail, leurs revenus et la qualité des plantes vendues aux clients, tout en diminuant la pression sur les ressources naturelles (Photo 5). En même temps, l'action d'appui a amélioré l'image des herboristes auprès d'elles mêmes et la perception de l'importance de leur travail auprès des respectives familles et de la communauté.

Un acquis important dans le processus d'empowerment des acteurs de la MT a été le développement d'une forte dynamique associative autogérée des tradithérapeutes qui s'est consolidée, en mars 2002, avec la création de la Fédération Malienne des Thérapeutes Traditionnels et Herboristes (FEMATH), qui regroupe aujourd'hui 125 associations de tradithérapeutes de toutes les régions du Mali.

En 2005, la FEMATH a signé une convention avec le Ministère de la Santé et, dans ce cadre, elle participe aux différents organes du Programme de Développement Socio-Sanitaire au niveau national, régional et local. Entre autres, la FEMATH est membre de l'Haut Conseil de Lutte contre le SIDA et du Comité de Suivi de la mise en œuvre de la Politique Nationale de Médecine Traditionnelle (FEMATH, 2010). Depuis 2002, la FEMATH organise chaque année la Semaine Internationale de la Médecine Traditionnelle Africaine (SIMTA, Photo 6).


Photo 5: Aissata Diarra, herboriste au marché de Fadjiguila, Bamako, juillet 2009
Photo 6: Thérapeutes traditionnels de Toumbouctou à la 10e édition de la SIMTA

Quelques réflexions méthodologiques complémentaires

Nous présentons, dans les paragraphes suivants, des réflexions spécifiques concernant les projets et programmes de valorisation des ressources de la médecine traditionnelle. Nous serions trop présomptueux si nous affirmions que nous avions l'ambition de révolutionner les approches habituelles d'une intervention classique dans le domaine des MT. En réalité, au départ, telle n'était pas notre intention. Cependant, les enseignements tirés sur les expériences réalisées nous ont amené souvent à le faire (Giani 2010)… Les quelques exemples concrets présentés nous permettrons de mieux expliquer notre pensée dans ce domaine.

Le recensement des tradithérapeutes
Le schéma classique d'une action sur les MT prévoyait de commencer d'abord par le recensement des tradithérapeutes de la zone d'intervention. Cette phase a toujours été très longue et difficile… Cependant, il était presque impossible d'établir de l'extérieur qui était un vrai tradithérapeute et qui ne l'était pas, car il n'existait pas une grille validée à cet effet. Certes, nous passions par des informateurs-clé… Mais force est de reconnaître que beaucoup de vrais tradithérapeutes nous ont souvent échappés ! C'est ainsi que nous avons compris qu'il était préférable d'appuyer la dynamique associative des tradithérapeutes. Leur recensement autogéré a été ainsi un effet collatéral désiré et utile de cette activité. Par ailleurs, les tradithérapeutes d'une zone se connaissant très bien entre eux, le recensement ainsi effectué a été beaucoup plus crédible et proche de la réalité. Ce qui correspond mieux, entre autres, aux critères de l'OMS qui prévoit la reconnaissance des tradithérapeutes par la communauté dans laquelle ils vivent et opèrent.


Figure 5 : Recensement des thérapeutes traditionnels de la Commune Zégoua.

Nous avons pu mettre en pratique cette approche en 2009 et 2010, dans la Commune de Zégoua (Cercle de Kadiolo), dans le cadre du renforcement du Système Local d'Information Sanitaire, qui prévoyait l'intégration expérimentale de certains données de la MT (Traoré et al., 2011) : le recensement autogéré a permis d'identifier 104 tradithérapeutes, dont 31 % femmes. La répartition par village est montré dans la Figure n° 5 : le village qui a présenté le nombre de tradithérapeutes le plus élevé par rapport au nombre d'habitants était Zampédougou, avec un tradithérapeute pour 37 habitants ; le nombre de tradithérapeutes le moins élevé a été relevé à Zégoua et à Katélé avec des ratios respectivement d'un tradithérapeute pour 356 et 334 habitants. En moyenne, dans la Commune de Zégoua, il y avait un tradithérapeute pour 236 habitants. La moyenne des consultations par tradithérapeute a été de 277 patients par mois. La première cause de consultation a été le paludisme.

L'inventaire de la Flore Officinale
La deuxième étape du schéma d'une action classique était l'inventaire des plantes médicinales de la zone d'intervention. Cette activité aussi a été souvent très longue et difficile, nécessitant de temps, d'une logistique importante et de compétences très spécialisées. Les résultats ont été souvent en deçà des efforts déployés et furent très difficiles à utiliser. La vérification de l'effectivité des informations collectées est aussi longue et difficile, voire impossible. Un tradithérapeute de Loulouni nous a dit : «Quand les blancs sont venus nous interroger sur les plantes médicinales, nous nous sommes amusés à leur mélanger les pédales…». En tous cas, s'il est plus facile d'inventorier certains usages populaires, par contre les connaissances spécialisées, les «secrets» faisant partie du patrimoine individuel ou familial, sont très difficilement livrés.

Nous nous sommes toujours présentés aux tradithérapeutes en disant : «Nous ne sommes pas là pour vous demander de nous livrer vos secrets sur les plantes médicinales». Nous avons donc préféré travailler avec les tradithérapeutes sur leurs préoccupations prioritaires concernant les plantes médicinales, c'est-à-dire les espèces qui ont disparu ou qui sont en voie de disparition. Même dans ce cas, il y a eu des effets collatéraux désirés et utiles, notamment l'engagement immédiat, concret et efficace des Associations de Tradithérapeutes dans la protection et la restauration des espèces médicinales, tant à Bandiagara (2002-2003, Giani 2007) qu'à Kadiolo (2001 - en cours, Giani, 2008 ; 2010).

Il est vrai aussi qu'une fois la confiance réciproque instaurée, on peut avoir accès à des informations plus spécifiques sur les traitements traditionnels. Mais, pour ce faire, il est indispensable de développer avec les détenteurs des savoirs traditionnels une réflexion approfondie sur le respect des droits de propriété intellectuelle individuels et collectifs.

L'étude des nosologies traditionnelles
Toujours dans le schéma d'intervention classique, la troisième étape était l'étude des nosologies traditionnelles. L'idée était d'établir une liste de correspondance entre les catégories nosologiques traditionnelles et conventionnelles, à utiliser par les acteurs de la médecine moderne dans le dialogue avec les tradithérapeutes, mais principalement avec les malades. Cette étape aussi a été longue et difficile… Les résultats ont été souvent décevants, car plus nous approfondissions les connaissances sur les catégories nosologiques traditionnelles, plus il apparaissait difficile et parfois impossible d'établir des correspondances univoques avec les définitions dites "modernes" des maladies, déjà au niveau linguistique. Quand nous passions aux causes des maladies, nous étions souvent amenés à penser qu'une incommunicabilité ambiante existait entre les deux médecines.

Nous avons ainsi compris qu'il était préférable de centrer davantage le dialogue entre les acteurs des deux médecines sur les malades plutôt que sur les maladies et sur l'appréciation par les utilisateurs de l'efficacité des traitements traditionnels. Nous avons pour cela développé le concept d'"approche pragmatique sur les cas critiques", sur les problèmes prioritaires de santé publique. Cette approche nous a permis d'identifier les domaines prioritaires, de définir les forces et les limites des deux médecines dans des champs spécifiques et de mettre en place un système consensuel de référence réciproque des cas critiques, dont l'impact était mesurable. Il s'agissait donc de faire face aux problèmes prioritaires de santé en utilisant au mieux toutes les ressources disponibles, en les intégrant de façon opérationnelle sur le terrain dans le contexte de la décentralisation administrative et sanitaire.

Quand nous avons pu appliquer cette approche avec une certaine continuité dans le temps, elle a toujours bien marché : non seulement avec les accoucheuses traditionnelles (Sanogo, Giani, 2009 ; 2009a) mais aussi avec les traumatologues traditionnels et dans la lutte contre le paludisme.
Dans le cadre d'une étude prospective réalisée au Pays Dogon d'avril 2000 à mai 2001, les 18 traumatologues traditionnels qui ont participé à la recherche ont enregistré 4.671 interventions.


Figure 6 : Bandiagara, cas de traumatismes traités par les traumatologues traditionnel.

La Figure 6 montre la répartition des cas par type de traumatisme : 404 fractures exposées et/ou compliquées (8,65%), 1.415 fractures simples (30,29%) et 2.852 luxations et entorses (61,06%). Sur les 101 patients qui ont fait l'objet d'examen clinique, aucun cas de complications post-traumatiques n'a été relevé. L'étude a confirmé l'importance et la qualité du travail des traumatologues traditionnels du Pays Dogon et a ouvert des pistes de collaboration entre Médecine Traditionnelle et Médecine Moderne pour la prise en charge optimale des traumatismes (Diakité et al., 2004).

Dans le cadre du projet "Pratiques Traditionnelles et Soins de Santé Primaires", entre 2002 et 2003, les chercheurs ont constaté que l'utilisation du décocté de Argemone mexicana par les populations de la zone de Finkolo (Région de Sikasso) pour la prise en charge du paludisme simple était toujours associée à un résultat thérapeutique positif (Diallo et al., 2007 ; Graz et al., 2005). Des essais pré-cliniques ont également démontré in vitro, une activité des extraits de A. mexicana comparable à celle des extraits d'Artemisia annua sur Plasmodium falciparum. Des études de toxicité ont démontré l'innocuité de la décoction de A. mexicana, ce qui est en faveur d'une sécurité d'emploi de la plante.

En 2005, pendant la saison des pluies, en période de haute transmission du paludisme, une étude clinique observationnelle, menée dans le village de Missidougou en partenariat avec le chef de village, qui était aussi tradithérapeute (Photo 7), a permis d'évaluer l'évidence ethno-médicale de l'utilisation de la décoction de A. mexicana pour la prise en charge du paludisme non compliqué (Willcox et al., 2007). Il a été enregistré 89% de réponses cliniques adéquates pour les patients de plus de 5 ans. En 2006, une étude clinique randomisée contrôlée a permis de comparer de la décoction de A. mexicana à une combinaison thérapeutique à base d'Artémisinine. A noter que la goutte épaisse était positive chez 87% des patients diagnostiqués par le tradithérapeute comme atteints de paludisme. Les patients ont été suivis pendant trois mois et aucune différence statistiquement significative au niveau clinique n'a été relevée entre les deux groupes (Gratz et al., 2010).


Photo 7 : Tiémogo Bengaly, Chef de village et thérapeute traditionnel de Missidougou (Région de Sikasso)

Des recherches sont en cours auprès du Département Médecine Traditionnelle de l'Institut Nationale de Recherche en Santé Publique pour la formulation d'un nouveau phytomédicament anti-paludique sous forme de tisane et de sirop.

Les méthodes participatives
Les développeurs ont exprimé souvent la préoccupation de ne pas intervenir dans les réflexions des acteurs. Nous pensons au contraire que les hypothèses d'action sont à définir dans un dialogue franc et paritaire avec les acteurs pendant lequel les expériences et les compétences des uns et des autres sont mis à profit pour trouver les meilleures solutions possibles.

La polémique entre solutions endogènes et exogènes nous semble plus idéologique que réelle. Le développement, pour nous, naît toujours de la rencontre et du métissage des idées, des expériences et des compétences… Le problème réel est d'avoir la capacité d'écouter, de respecter et de comprendre les messages dits et non-dits des acteurs et de mettre en discussion ses propres idées sans les imposer et sans avoir la présomption d'en savoir plus que les intéressés eux-mêmes.

Nous avons eu toujours horreur des méthodes figées qui forcent souvent la réalité à rentrer dans de schémas pré-établis. Nous avons eu souvent le sentiment qu'il s'agissait de "méthodes entonnoir", visant à faire en sorte que les acteurs locaux aient l'impression de décider ce qui avait été déjà établi à l'avance. L'effet pervers de l'application "intégriste" de ces méthodes a été de perdre la richesse et la diversité de la pensée humaine sur une réalité dont l'interprétation n'est jamais univoque. Ce qui est encore plus évident dans un contexte de civilisation orale que nous vivons au Mali. L'utilisation des mots n'est jamais casuelle et le plaisir d'un discours bien construit et d'un proverbe bien choisis procède en même temps que la recherche participative pour trouver des solutions utiles aux problèmes à affronter. C'est pour ces raisons que nous avons toujours pensé qu'il était préférable d'adapter la méthodologie à la réalité que la réalité à la méthodologie…

En guise de conclusion…

Nous tenons à souligner encore une fois que la méthodologie de la RA nous semble la plus adaptée pour des intervention concernant le développement local, ceci pour trois raisons principales : la pluridisciplinarité de l'équipe, la souplesse dans la démarche et la participation des acteurs comme méthode de travail. De plus, la RA nous donne aussi le droit de nous tromper et de reconnaître et corriger collectivement nos erreurs… Car, par rapport aux stratégies de développement en Afrique, nous tous connaissons beaucoup mieux les choses qui n'ont pas marché par rapport à celles qui pourraient marcher.
Nous avons ressenti souvent la nécessité de combler l'écart existant entre une situation de départ, que nous jugeons insatisfaisante et une situation d'arrivée, que nous voudrions désirable, notamment l'amélioration de la santé et de la qualité de la vie des populations africaines. Dans ce contexte, un problème de recherche est l'écart conscient entre ce que nous, chercheurs, développeurs et acteurs sociaux et politiques, savons et ce que nous devrions savoir pour aboutir au but avoué de la recherche (Gauthier, 2003). Nous pensons que la méthodologie de RA peut nous aider à combler cet écart.

Nous ne pouvons pas, par ailleurs, prétendre de connaître les problèmes mieux que les personnes qui sont en train de les vivre depuis longtemps. Les intégrer dans les groupes de recherche est donc une condition nécessaire, si non suffisante, de l'efficacité des actions à mener. Définir collectivement les priorités, les objectifs, les actions à mener et leur rythme d'exécution dans la concertation avec les acteurs locaux, tout en assurant la transparence dans la gestion et la retro-information aux communautés, est gage de l'appropriation des actions par les "bénéficiaires", toujours espérée par les développeurs mais très rarement atteinte.

En conclusion, nous tenons à souligner encore une fois l'importance de l'attitude à l'écoute, à la réflexion participative, à la discussion franche et ouverte, à la restitution permanente aux acteurs et au questionnement des chercheurs. Nous aimons définir les approches que nous avons essayé de partager avec vous comme la méthode de "l'arbre à palabre"…

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* Sergio Giani, pharmacien, est membre fondateur et chargé des Programmes de Aidemet Ong; Rokia Sanogo, Ph.D. en Pharmacognosie, est Présidente de Aidemet Ong, Mali, Maître de Conférences Agrégé en Pharmacognosie et mène des recherches sur la Pharmacopée Traditionnelle au niveau du Département Médecine Traditionnelle de l'Institut National de Recherche en Santé Publique.

 Universitas Forum, Vol. 2, No. 2, july 2011





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